Discours du président Macron à Davos

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Dans le cadre du danger pour « l’humain » que représente « l’homme augmenté », fruit de la mondialisation de la course au « transhumanisme », le discours du président Macron à Davos semble fixer des limites générales à l’expansion des  financiarisation et marchandisation de tout… et du reste.

Simples astuces de communication ou réelles intentions de tenter de sortir de la spirale infernale de la mise hors jeu de la civilisation des Lumières au profit de celle « de la concurrence juste et parfaite… il n’y a pas d’autre alternative  » ? On verra !

Roland Monnet

Merci beaucoup Professeur, cher Klaus.

Laissez-moi aussi saluer les vice-présidentes de ce Forum, puisque c’est le choix, je pense, heureux, fort que vous avez fait pour cette année et je salue donc nos vice-présidentes en même temps que les chefs d’État et de Gouvernement ici présents et tous les amis que nous avons dans la salle.

Vous avez parlé de la mondialisation et les paradoxes de cette mondialisation. Et lorsque vous arrivez ici, le paradoxe le plus important, c’est de parler de mondialisation dans un endroit qui est pratiquement isolé du reste du monde par la neige. Alors une chose qui est certaine ici, à Davos, lorsque vous regardez par la fenêtre, surtout lorsque vous arrivez ici, dans ce bâtiment, on a vraiment du mal à croire dans le réchauffement climatique. Heureusement et bien évidemment, vous n’avez invité aucun climato-sceptique cette année.

Vous avez décidé d’évoquer un certain nombre de défis aujourd’hui dans notre environnement et ma première réponse, c’est de parler de ces défis en France et en Europe. Je dois dire que nous avons déjà mis en place un certain nombre de mesures que je vais passer en revue pour vous et nous allons continuer avec la même force.

Mais ne soyons pas naïfs, la mondialisation connaît une crise aujourd’hui, une crise majeure. Et ce défi énorme requiert un effort collectif de la part d’organisations internationales, de la part d’États, d’entreprises, la société civile afin de trouver et de mettre en œuvre des solutions. C’est la raison pour laquelle il me semble que votre décision de choisir le sujet de cette année est tout à fait justifiée et la raison de ma présence ici, c’est un appel à l’action. J’en appelle à tous et à toutes ici, il faut passer à l’action.

La France a été profondément touchée par des changements structurels et son rapport avec la mondialisation, avec l’enjeu en général. Et je suis ici devant vous mais il y a quelques mois, je n’étais vraiment pas sûr de venir et j’ai dû me battre avec un parti nationaliste, pourquoi ? Parce que nous étions dans des craintes, dans des peurs vis-à-vis de la mondialisation dans mon propre pays. Pourquoi cette peur ? Parce qu’il n’y a pas eu les résultats escomptés, les résultats étaient plutôt faibles : chômage, déficit public, manque de croissance. Et d’ailleurs, nous n’avons pas encore tout résolu. Et puis parce que certaines personnes ont quand même proposé aux Français de sortir tout simplement de la mondialisation.

Mais cette alternative, elle est proposée dans tous les pays et ceci me mène à la responsabilité qui est la nôtre, la responsabilité qui consiste à construire une France prospère, ouverte au monde, mais capable aussi de reconnaître et d’accepter et d’intégrer les laissés-pour-compte de la mondialisation.

Il faut pouvoir montrer qu’elle est plus équitable pour les classes moyennes. C’est le défi du « en même temps » que j’ai essayé d’articuler en France et qui fait débat en France à l’heure actuelle. La situation est très claire : il faut rendre la France plus compétitive, plus novatrice pour pouvoir financer justement un système juste. Rendre la France plus compétitive dans un cadre européen, voilà le but pour la France. Et permettez-moi de passer en revue les piliers de cette stratégie.

Tout d’abord, je voudrais parler du capital humain. Notre monde a changé et, aujourd’hui, il nous faut moins de bras et plus de cerveaux, il nous faut des personnes éduquées, formées. Les hommes et les femmes en France doivent pouvoir s’adapter au changement et doivent être formés de façon efficace. Donc nous avons commencé à mener à bien des réformes approfondies de notre système éducatif aujourd’hui, pas plus tard qu’aujourd’hui aussi, pour former, pour éduquer nos citoyens parce que lorsque l’on prend les classements – Angel GURRIA est avec nous –, je suis désolé des dernières années mais bon, en tout cas, nous avions chuté dans les classements.

Donc il nous faut vraiment réformer notre système éducatif, réformer aussi les règles qui régissent les accès à l’université pour faciliter l’accès aux universités. Et de façon plus générale, il s’agit maintenant de réfléchir à la manière dont on peut mieux investir dans ce système éducatif et mieux le réformer. En plus de cette réforme, nous réformerons également le système d’apprentissage et de formation professionnelle. Ce sont deux éléments qui sont vraiment cruciaux dans cette réforme de l’éducation. Pourquoi ? Parce que si on veut accompagner les gens dans ce changement mondial, il faut leur proposer quelque chose. Ces dernières années, à droite et à gauche, on expliquait aux gens : nous allons vous protéger du changement. Mais il nous faut parfois accélérer le changement ! Au contraire, nous devons être dans la réalité et donner la vraie protection, la vraie protection qui consiste justement à former pour pouvoir permettre à ces gens d’avoir un travail.

Nous allons investir lourdement dans la formation et l’éducation et nous allons également simplifier et rendre plus efficace l’ensemble du système. En même temps, nous allons innover également dans l’économie et notamment par le biais de la recherche et le développement. Nous allons maintenir et renforcer nos mécanismes d’incitation fiscale et, en plus de cela, nous créerons un fonds de 10 milliards pour financer des programmes de recherche et d’innovation et notamment cette innovation perturbatrice. Et puis nous investirons aussi pour développer ces programmes d’innovation que nous allons lancer. Là aussi, nous nous concentrons sur la recherche et le capital humain.

Deuxième pilier de cet agenda ou ce train de réformes, ce sont l’investissement et le capital. Dans une économie comme la nôtre, vous la connaissez très bien, l’économie d’innovation et de compétences, il est bon d’avoir un système financier compétitif dont nous disposons en France, mais il est plus orienté vers les salaires que vers le capital. Il nous faut plus de capital, de fonds dans cet environnement pour financer les risques, les grandes innovations. Donc nous avons également adopté toute une série de réformes pour allouer nos épargnes dans cette direction ou à ce type de financement. Des négociations ont lieu en ce moment même à l’échelle européenne et mondiale pour justement davantage se concentrer sur des projets, des bons projets durables.

Des mesures concrètes viennent d’être adoptées pour faciliter ce type d’action. Donc nous avons réduit nos impôts aux entreprises : nous étions à 33 %, nous les avons considérablement réduits, les impôts. Une réforme aussi sur les profits sur le capital et d’autres mesures encore qui nous permettent de devenir plus compétitifs. Et tout cela pour quoi ? Pour finalement accélérer le redressement, accélérer la récupération de notre compétitivité et en réduisant les coûts du travail, nous renforçons aussi l’attractivité de la France. Donc nous allouons notre capital dans le financement de l’innovation, notamment dans les technologies perturbatrices, pour renforcer ce modèle.

Et puis troisième pilier, l’accélération et la souplesse. Dans un monde comme le nôtre, l’éducation et les nouveaux filets de sécurité sont essentiels pour protéger les gens mais il nous faut des structures beaucoup plus souples, des règles plus souples aussi pour s’adapter au changement, pour pouvoir aider les entreprises de tout type – des grandes entreprises, des start-up –, les aider à changer de business model pour justement s’adapter au nouvel environnement. Et c’est pour cela qu’en été l’année dernière, nous avons adopté une réforme très importante de notre marché du travail dont la philosophie principale – et je résume fortement –, c’est d’aligner l’Allemagne à l’Allemagne et à l’Europe du Nord, moins de règles définies par la loi et beaucoup plus de règles définies par un consensus, tant au niveau des entreprises qu’au niveau des secteurs. Donc, une meilleure adaptation à l’environnement des entreprises. Et ça, c’est un changement énorme. Cela nous rend plus compétitifs et beaucoup plus productifs et je pense que c’est une réforme que nous attendions depuis longtemps.

Accélération et souplesse, c’est aussi, ça entraîne aussi toute une série de réformes microéconomiques sur le logement, l’énergie, les transports et ce pour réduire les coûts totaux pour les gens, améliorer la compétitivité et rendre notre économie plus rapide, plus efficace dans les secteurs critiques.

Quatrième pilier de cette stratégie, nous avons décidé d’ériger la France en modèle, en exemple dans la lutte contre le changement climatique. C’est un avantage en termes de compétitivité. Il nous faut absolument arrêter d’opposer le changement climatique à la productivité, pourquoi ? Parce qu’on doit attirer les talents et les talents viendront là où c’est agréable de vivre, là où la vie est agréable ! Je ne sais pas si je dois vraiment vous convaincre ou non mais en tout cas, il nous faut une stratégie orientée vers la lutte contre le changement climatique. Là aussi, nous avons adopté un certain nombre de mesures pour faire accélérer la stratégie verte et notamment pour ce qui est des émissions de CO2 et leur réduction, bien entendu.

Qu’est-ce que cela veut dire ? D’ici à 2021, nous serons débarrassés du charbon. Cela veut dire que nous allons lancer encore des programmes de recherche et de développement et nous avons déjà attiré des projets de recherche et des start-up nombreux, grâce au programme au programme de Make Our Planet Great Again et grâce à tous ces projets qui, maintenant, arrivent en France.

Et le cinquième pilier de cette stratégie nationale – et c’est le dernier, je vous rassure –, le cinquième pilier, c’est le changement culturel. Et pour moi, c’est aussi important que les réformes concrètes, les emprunts, etc. Ce changement culturel, c’est la préférence à la simplification et à l’allégement administratif. La France est fameuse pour ses nombreux règlements et son droit fiscal très compliqué. Et pourquoi ? Parce que nous avons, j’ai réussi à gérer mieux que d’autres économies les inégalités. Mais par contre, nous n’avons pas évité les inégalités, nous les avons corrigées par une énorme complexité et ces corrections, fondamentalement ou définitivement, ont affaibli notre compétitivité.

Donc nous allons avoir une stratégie pour éviter les inégalités, j’y reviendrai plus tard, mais en même temps, nous allons simplifier les processus, nous allons amincir la bureaucratie et la simplifier avant tout. Nous avons pris toute une série de mesures concrètes pour lancer cette nouvelle structure d’esprit, cette nouvelle culture. Au cours des six derniers mois, nous avons réduit comme des fous le nombre de réglementations et nous avons diminué le nombre d’approches bureaucratiques et nous avons maintenant passé une loi pour changer complètement les relations entre l’administration et les entrepreneurs et les gens.

Ensuite, la visibilité. Nous devons garantir la stabilité aux gens, les entrepreneurs, les citoyens, les investisseurs. Toutes les réformes que j’ai mentionnées sur les impôts et les taxes visent à simplifier et nous avons adopté une stratégie quinquennale sur la fiscalité. C’est tout à fait nouveau parce que c’est facile de venir chez vous et de vous dire : j’ai changé le système fiscal pour cette année et l’année prochaine, je change encore. Parce que l’imprévisibilité est tout à fait contreproductive. Donc la visibilité, c’est important. Voilà la stratégie, c’est une stratégie sur cinq ans et nous n’allons pas changer pendant cinq ans, c’est tout. Donc c’est mon engagement et c’est l’engagement de ma gouvernance.

Troisième point très important, c’est le risque. Voilà un point donc du changement de culture. Donc, en France, j’ai toujours dit que c’était interdit d’échouer mais c’était aussi interdit d’avoir du succès et de réussir. Alors vous voyez que la marge est relativement réduite et vous n’avez pas beaucoup de marge de manœuvre. Aujourd’hui, il devrait être plus facile d’échouer, c’est-à-dire de prendre des risques. Donc, pour réduire le coût de l’échec, pour que les gens reviennent et recommencent et pour faciliter la réussite et pour autoriser la réussite, donc nous avons décidé d’avoir une autre relation par rapport au risque. Si vous prenez un risque, il faut être récompensé et si vous échouez, eh bien il faut que ce soit autorisé d’échouer. Voilà le changement d’esprit, le changement de culture que nous essayons d’installer en France parce que la France, c’est une nation d’entrepreneurs, c’est une nation de gens qui adorent le risque et c’était une grosse erreur, si vous regardez notre Histoire, que de ne pas autoriser ce risque et de ne pas lui donner suffisamment de marge.

Alors mon message, c’est : la France est de retour. La France est de retour au centre de l’Europe parce que nous n’aurons jamais de réussite française sans la réussite européenne. Et pour moi, toutes ces initiatives et toutes ces réformes ont une contrepartie, c’est la stratégie européenne. Et je vois beaucoup de dirigeants européens ici présents et ce sont de chers amis et, tous ensemble, nous travaillons d’arrache-pied pour que cette stratégie commune se réalise.

Je sais qu’Angela MERKEL vous a déjà communiqué cette vision il y a quelques heures et nous travaillons en étroite collaboration à cet égard. Mais je voudrais simplement en résumé que vous croyiez que la stratégie fondamentale pour moi au cours de l’année qui vient et aussi au cours de l’année que nous vivons actuellement, c’est de refondre l’Europe, préparer les questions sur l’énergie, le numérique, la migration et l’investissement. Ça, ce sont quatre sujets sur le programme 2018 mais cette année va être l’année où il va falloir que nous élaborions la stratégie sur 10 ans pour l’Europe parce que, dans l’environnement actuel, l’Europe a une responsabilité et un rôle par rapport à la Chine et par rapport aux États-Unis parce que notre vision, notre ADN de relation entre la liberté, la justice, l’équité, les droits individuels, c’est tout à fait unique et nous avons cet équilibre entre ces valeurs en Europe.

Aux États-Unis, il y a une très forte préférence vis-à-vis de la liberté, mais l’approche vis-à-vis de l’équité est très différente. En Chine, il y une aspiration encore différente. Mais c’est cette synthèse entre ces quatre valeurs qui sont à la base de notre approche multilatérale et de la mondialisation. Ceci a été fait en Europe et, en Europe, nous avons besoin d’une Europe plus forte pour être intégrés, insérés dans le monde, dans la mondialisation de notre planète. Et mon avis, c’est que nous devons redessiner une stratégie sur 10 ans, pas une stratégie comme ça de 24 heures, non non, une stratégie pour l’aspect économique, social, pour le vert, pour la science et pour la politique. Il faut une nouvelle stratégie de puissance européenne dans ces domaines et il faut pour cela davantage d’ambition pour que nous ayons une Europe plus souveraine, plus unie et plus démocratique.

Et pour la migration, le numérique, l’énergie, la défense, le développement, les finances, les investissements, le cœur de ce qui nous rend souverains dans cet environnement sera la construction d’une politique commune.

Je ne suis pas naïf, nous n’allons jamais construire quelque chose de suffisamment ambitieux à 27 et, honnêtement, je ne veux pas dire que c’est impossible à 27, non, je dirais simplement que nous devons bien sûr commencer notre travail à 27. Mais il faut plus d’ambition, il faut une sorte d’avant-garde de l’Europe pour réaliser quelque chose dans ces domaines critiques que j’ai mentionnés. Nous ne devons pas attendre que tout le monde soit aussi autour de la table pour avancer.

Donc, si certains sont prêts à être plus ambitieux et à aller de l’avant dans ce qui nous rendra souverains dans cet environnement pour défendre nos valeurs et nos intérêts, avançons ! Et là, nous sommes ouverts, la porte et la fenêtre sont toujours ouvertes. Mais ceux qui ne veulent pas avancer ne doit pas pouvoir bloquer ceux qui sont ambitieux dans la salle car je pense que cette ambition, c’est l’ambition qui permettra à notre euro zone de devenir plus forte, plus équitable, plus ambitieuse et plus capable de transmettre un message cohérent à propos de ce que nous voulons réaliser dans cet environnement.

En septembre dernier, j’avais fait un grand discours à ce sujet, nous avons beaucoup travaillé, mais j’espère, avec mes amis qui se trouvent dans cette salle, pouvoir élaborer ensemble pour la fin de cette année cette stratégie commune pour les 10 prochaines années pour donner à nos populations et au reste du monde une visibilité de ce qu’est l’Europe, c’est-à-dire une nouvelle puissance capable de coopérer avec lui.

Parce que, mes amis, je veux ici toutefois vous faire un aveu, si je souhaite que la France trouve pleinement sa place dans la compétition mondiale et si je pense que la condition, c’est que l’Europe, justement, soit plus forte et réussisse à trouver une nouvelle ambition, ça n’est pas une finalité en soi. La croissance économique, ça n’est pas une finalité en soi et on s’est, je pense, souvent trompé, parfois encore récemment, dans les discours qu’on tenait en disant : vous allez voir, tous nos sujets vont s’arranger, parce qu’on va avoir de la croissance.

Nous, on peut avoir un ou deux points de croissance en plus, c’est notre bataille, mais ça ne règle pas tous les sujets et la croissance économique, ça n’est pas une fin, ça reste un moyen. Et j’irais même plus loin, cette recherche de croissance économique nous a parfois fait oublier ce que les peuples sont prêts à accepter pour l’obtenir. La crise de la mondialisation qu’on est en train de vivre aujourd’hui, elle est liée à ça. Le monde, il est fragmenté par une série de phénomènes économiques, géopolitiques nouveaux et qu’on pouvait pour certains anticiper, qui sont liés à ce divorce.

D’abord, on a pensé ou on a fait croire que la croissance, ça concernait tout le monde, on disait : plus on aura de croissance, tous les problèmes vont s’arranger dans les pays émergents, les pays intermédiaires ou les économies développées. Ça n’est pas vrai parce que cette croissance, elle est structurellement de moins en moins juste. Toutes les revues internationales le montrent, que ça soit des institutions multinationales, des ONG, il y a une concentration sur les 1 % les plus riches qui se fait à chaque fois. C’est lié à quoi ? La financiarisation de cette mondialisation qui a favorisé un effet de concentration et les nouvelles technologies, cette économie de l’innovation et de la compétence que j’évoquais, parce que c’est une économie de super stars. Elle favorise les gens très talentueux et elle se concentre chez les gens les plus talentueux.

La réponse, on ne peut pas l’apporter dans chaque pays avec un système de taxes, sauf à être très coordonnés entre nous tous parce que sinon les talents s’en vont. Je peux vous dire, on a très bien testé cette méthode. Elle ne marche pas en non-coopératif et en non-coordonné ! Ça, ce n’est pas une bonne idée. Par contre, ne pas avoir de réponse du tout, ce n’est pas une bonne idée sur ce sujet. Ensuite, on nous dit : on est dans un monde formidable, les distances se raccourcissent, on est dans un monde où tout s’accélère, mais dans nos sociétés, tout se refracture.

On a des sociétés faites aujourd’hui de nomades qui bénéficient formidablement de la mondialisation et dont la vie, le quotidien, le destin est plus proche de gens qui sont à Bombay, à San Francisco que de leurs voisins de palier. Ça crée un vrai risque dans la démocratie parce que ça désaligne les intérêts, les sujets et ce qui fait le consensus démocratique et c’est devant nous. Et nous, on réfléchit ici de ces enjeux mais à quelques dizaines de kilomètres d’ici, on a des gens qui croient fermement que la solution, c’est la sortie de la globalisation et on a de plus en plus de gens qui sont convaincus que c’est la bonne option.

Alors, une fois que j’ai dit ça, ça veut dire que nous avons un défi qui n’est pas mince. Ce défi, ce n’est pas celui que des gouvernements. D’abord, les gouvernements, les États, depuis quelques années, je pense, vont dans le mauvais sens face à ces défis. Il y a les défis démocratiques que j’évoque. Beaucoup de gouvernements sont tentés de répondre par une approche nationaliste : vous avez raison, tout ça ne va pas, on referme les frontières. Ensuite, les défis qui font peur – les grandes migrations, le terrorisme, les grands changements technologiques –, ce sont des défis qui imposent une coordination internationale. Je l’évoquais au moins pour l’Europe mais plus large encore que l’Europe, si nous ne sommes pas en situation de coopérer, on ne saura pas les régler et on cherchera toujours à avoir nos avantages comparatifs. Et la recherche de l’avantage comparatif fait qu’on est toujours tiré vers le bas. C’est la course vers le point le plus bas sur tous ces sujets.

Et donc, cette course non coopérative nous empêche au fond de répondre à ces peurs et à ce qui tient nos nations ensemble. Et les États ont été dans le mauvais sens parce qu’on a plutôt fragilisé le multilatéralisme face à tout cela ces derniers temps. Et qu’il s’agisse de l’ONU, du FMI, de l’OMC, on a eu de plus en plus de gens qui ont attaqué ces institutions en disant : « Nous, on reprend en quelque sorte nos droits, on a notre propre approche, on crée des systèmes alternatifs. » Ne nous trompons pas, toutes ces structures sont nées de ce que le professeur vient de rappeler, cette période de l’Histoire où on a vu ce à quoi conduisait l’approche non coopérative entre les gouvernements lorsqu’il y avait des grandes peurs séculaires. Et depuis quelques années, nous avons été sur ce sujet dans le mauvais sens.

Nous avons été aussi, quand on regarde le droit social, le fiscal, tous les sujets qui, en quelque sorte, fondaient le cœur d’un État, dans un sens très non coopératif et dans un affaiblissement continu. J’expliquais il y a un instant ce que je fais pour la France. La France avait, était en quelque sorte très décalée par rapport au reste de l’Europe, elle était très au-dessus sur tous ces sujets de la moyenne européenne. Mais quand je regarde la dynamique actuelle dans le monde, on a une dynamique qui, sur les sujets fiscaux ou les sujets sociaux, est en train de continuer à expliquer aux gens : les amis, la bonne réponse, c’est d’en faire toujours moins ! La meilleure réponse, c’est de baisser nos impôts ! Il n’y a pas de limite ! Race to the bottom !

Sur le social, c’est pareil. Si nous ne définissons pas un standard de coopération internationale, jamais on n’arrivera à convaincre les classes moyennes, les classes laborieuses, que la mondialisation est bonne pour elles ! Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai ! Sur le commerce, nous revenons vers, là aussi, des stratégies qui sont non coopératives, vers plus de protectionnisme, vers la fragmentation de ce que l’OMC a fait, la menace de certains accords régionaux qui était très structurante et on détricote ce que la mondialisation avait pu mettre en place. Et sur le climat, beaucoup étaient avec moi le 12 décembre dernier à Paris, nous ne sommes pas à la hauteur de ce à quoi nous nous sommes nous-mêmes engagés, c’est-à-dire on est en train de perdre la bataille. 2020, ce n’est pas un rendez-vous pour une nouvelle conférence. Si on n’a pas délivré des actions concrètes, il ne faudra pas expliquer aux gens qu’ils sont de plus en plus vulnérables, on aura tout fait en pleine conscience pour le faire !

Donc, sur tous ces sujets, qui sont des sujets, je dirais qu’on connaît bien et sur lesquels on a su s’organiser, on a désagrégé l’organisation internationale, on l’a affaiblie. Et à ça, s’ajoutent des nouveaux sujets que nous n’avions pas vus : l’urbanisation accélérée, les grandes migrations et le changement technologique que vous avez parfaitement explicité. Et chacun est porteur de nouvelles inégalités, de nouveaux changements qui font très peur aux gens et qu’on ne pense là aussi trop souvent que de manière non coopérative. On n’a pas mis en place l’organisation mondiale qui nous permet de penser toutes les conséquences de ces changements technologiques, de l’intelligence artificielle, par exemple, ou du big data. On a une stratégie aujourd’hui mondiale totalement non coopérative sur ces sujets !

En Europe, on n’a pas encore de vraie stratégie ; aux États-Unis, il y a une stratégie qui est laissée à des grands acteurs privés que nous aimons tous et que nous utilisons tous au quotidien dans nos devices ou nos plateformes Internet, mais qui ont privatisé cet enjeu avec tout ce que ça a emporte de rapport aux libertés individuelles et au secret ; et en Chine, l’enjeu, il est géré de manière totalement publique avec un contrôle des données qui est fait selon d’autres standards que nous cherchons, nous. Mais on n’a jamais d’approche multilatérale sur ce sujet qui va détruire des millions d’emplois, changer les règles de la vie privée et donc construire le rapport au monde de nos citoyens. Mais demain, il changera la médecine, la connaissance que j’ai sur vous en termes justement de capacité à être soigné et même la solidarité nationale !

Tout ça pour dire – et je ne veux pas dégrader le tableau –, mais que ces changements technologiques, on fait tout pour les encourager chez nous, mais on ne fait pas attention et si on n’en pense pas le cadre, SCHUMPETER va très rapidement ressembler à DARWIN et vivre dans un monde totalement darwinien n’est pas bon. Ce n’est surtout pas bon pour nos peuples et pour toutes celles et ceux qui, en démocratie à la fin, décident de ça.

Face à toutes ces réalités et ces transformations, et je veux finir là-dessus, quels sont nos défis et comment y répondre ? Et au-delà de ce que nous faisons dans nos pays, de ce qui est nécessaire à faire pour l’Europe, nous avons quand même à retrouver, me semble-t-il, une forme de cadre, de grammaire du bien commun. On a des biens communs et ces biens communs sont mondiaux aujourd’hui, c’est le développement économique durable, l’environnement, la santé, l’éducation, la sécurité et la cohésion sociale, les droits de l’homme, et ces bien communs on ne peut jamais décider d’y renoncer. Et on doit dans nos stratégies et nos approches réussir à les articuler et à créer les bons forums pour recréer parfois de la régulation sur ces biens communs de manière coopérative.

Je dis ça pour les gouvernements mais je le dis aussi pour le secteur privé, personne ne pourra me suspecter de ne pas être "business friendly", personne ne pourra me reprocher de ne pas avoir une approche favorable à l’ouverture, au développement économique. Mais je vous le dis très franchement ici, cette approche doit avoir des résultats, ça c’est en quelque sorte mon job, celui du gouvernement et je l’espère de toutes celles et ceux qui dans le secteur privé viendront parce qu’ils ont confiance et permettront de créer des emplois et de se développer.

Même dans mon pays si je ne redonne pas un sens à cette mondialisation, si je n’arrive pas expliquer aux gens qu’elle est bonne pour eux et qu’elle sert à traiter les problèmes du quotidien et qu’ils y ont leur place, dans cinq ans, dans 10 ans, dans 15 ans ce seront les nationalistes, les extrêmes, ceux qui proposent de sortir de ce système qui gagneront et ce sera vrai dans chaque pays ! Et donc on ne peut pas simplement être là à trembler en disant « c’est affreux » quand des nationalistes, des extrêmes ou des gens qui parfois portent des messages terroristes ou de repli sur soi dans certains autres pays gagnent ! Non, le défi est maintenant chez nous et la question est de savoir si on sait refonder un vrai contrat mondial et un vrai contrat qui n’est pas que celui des gouvernements.

Je vous le dis très franchement, si la part de ce contrat n’est pas intégrée dans le modèle des investisseurs, dans le modèle des banques, dans le modèle des entrepreneurs, si chacune et chacun ne considère pas qu’il a une part de ce contrat mondial à porter ça ne marchera pas parce qu’il y aura toujours quelqu’un qui sera tenté d’avoir une stratégie non coopérative, parce qu’il y aura en quelque sorte toujours une prime au free-riding. Et l’ennemi du bien commun c’est le passager clandestin et aujourd’hui nous sommes en train de tomber dans une situation où dans notre mondialisation une majorité de puissances sont en train de devenir des passagers clandestins des biens communs, c’est ça la situation que nous vivons aujourd’hui.

Ce nouveau contrat mondial, je pense qu’il faut qu’on le fonde autour de trois engagements : le devoir d’investir, le devoir de partager et le devoir de protéger. Je suis sans doute pas exhaustif, je ne serai pas complet aujourd’hui, j’oublierai plein de sujets parce que je ne veux pas être excessivement long, mais je veux vous dire deux mots de chacun de ces devoirs. Le devoir d’investir c’est celui d’investir pour les États mais aussi le secteur privé dans les biens communs que je viens de rappeler, la santé en particulier, mais il y en a un sur lequel aujourd’hui nous ne sommes pas au rendez-vous c’est l’éducation.

Je l’ai évoqué pour la stratégie française, nous devons le faire aussi en Europe, mais c’est vrai sur toute la planète et en particulier dans les continents les plus en difficulté. Dans le monde on a aujourd’hui 750 millions d’adultes dont deux tiers de femmes qui ne possèdent pas les compétences d’alphabétisation de base et donc si on a une priorité en termes d’investissements c’est investir dans l’éducation des jeunes filles. Parce que partout où on n’investit pas dans l’éducation il n’y aura pas de croissance dans le pays, ça veut dire qu’on continue à avoir une stratégie prédatrice d’investissements dans le pays où nous sommes en tant qu’investisseurs étrangers.

Et s’il n’y a pas d’investissements pour les jeunes filles il n’y aura pas d’égalité homme-femme, il n’y aura pas de place pour les femmes et bien souvent dans les sociétés les plus difficiles sur le plan culturel, parfois le plan religieux et le plan économique la solution est chez les femmes et c’est elles qui la construisent. Et le choix de certains pays d’ailleurs de régresser dans l’éducation des jeunes filles c’est un choix assumé dans certains endroits face auquel nous ne pouvons pas nous taire ! Et donc face à cela nous on doit investir massivement. En Afrique, en 2015 il y a plus de 101 millions d’enfants qui étaient non scolarisés dont 53 millions de filles.

Alors la semaine prochaine je serai avec le président Macky SALL, nous allons œuvrer pour reconstituer le partenariat mondial pour l’éducation, c’est fondamental que tous les États ici présents puissent s’engager fortement. Mais j’aimerais aussi, ce qui n’a jamais été fait, que les investisseurs et les entreprises s’engagent, quand vous investissez un euro en Afrique investissez un euro dans l’éducation des jeunes filles ! Sinon ça veut dire que vous investissez pour le court terme parce que quand vous allez ouvrir une mine, une infrastructure de transport, c’est formidable, généralement d’ailleurs les États vous aident, vous garantissent, il y a plein de financements à la clé pour vous aider à faire ça, mais faites aussi quelque chose qui stabilise vraiment le pays maintenant.

Et donc il doit y avoir autour de l’éducation et de l’investissement dans l’éducation un vrai contrat public-privé en la matière, c’est une réponse absolument fondamentale. Et plus largement, vous l’avez compris, investir dans le développement, avoir une stratégie de développement beaucoup plus ambitieuse que celle que nous avons collectivement aujourd’hui est indispensable si nous voulons éviter cette fragmentation du monde.

Le deuxième devoir c’est partager, le partage de la valeur c’est un débat plus vieux que nous et qui a toujours irrigué le capitalisme. Mais il y a une crise du capitalisme contemporain, c’est qu’en se mondialisant parce qu’il est devenu un capitalisme, je le disais, de superstars et financiarisé, il faut bien le dire, la répartition de la valeur ajoutée n’est plus juste. Alors on regarde parfois en disant « elle ne s’est pas tant déformée que ça » mais parce qu’on oublie de regarder les superstars du côté de la rémunération du travail ! Et donc on doit mettre en place des vrais mécanismes de partage de la valeur ajoutée. Moi je crois très profondément dans la généralisation des systèmes d’intéressement et de responsabilité sociale et environnementale.

Vous avez compris, je ne crois pas que la réponse soit dans la taxe dans un État mais plus les entreprises généraliseront la responsabilité sociale et environnementale et donc décideront de débattre dans l’entreprise de la juste répartition des fruits de la croissance et de la réussite quand elle est là. Plus dans les mécanismes d’investissement et les critères d’investissement on aura justement une surveillance de la répartition de la valeur au sein de l’entreprise, ce qui fait d’ailleurs qu’elle se tient dans la durée, plus on construira un vrai capitalisme durable en termes de partage.

Il ne faut pas se tromper sur ce sujet, les entreprises dans la salle qui durent depuis bien longtemps ce sont celles qui ont des stratégies de répartition de la valeur, qui ont des vraies stratégies d’intéressement des salariés, beaucoup plus que d’autres. Et donc là-dessus je crois très profondément que la solution est du côté des entreprises et des investisseurs en ayant justement cette plus grande égalité. Et quand je parle d’égalité du partage de la valeur dans l’entreprise il faut aussi parler de l’égalité femme-homme. Nous avons lancé en France une stratégie en la matière pour combler le gap des inégalités salariales dans le quinquennat. Nous prenons avec le Word Economic Forum une initiative pour justement mettre en place des indicateurs et je pense que c’est très important d’avoir plus de visibilité en la matière dans le secteur privé et je veux saluer votre engagement très fort sur ce sujet. Mais je pense aussi que nous devons collectivement aller plus loin et je veux ici saluer les engagements pris par Justin TRUDEAU pour le G7 et qui a décidé de mettre ce sujet au cœur du G7 qu’accueillera le Canada cette année et je veux ici lui redire mon plein soutien.

Si on veut aussi mieux partager la valeur il faut le faire entre tous les secteurs et il y a un sujet fondamental que j’ai esquissé ou évoqué en creux en parlant des défis du monde contemporain, c’est le sujet fiscal. Si on veut mieux partager la valeur et si on veut mieux partager le financement des biens communs dans le monde actuel on doit avoir une stratégie fiscale beaucoup plus coordonnée au niveau international. Le « rest to the bottom » c’est la mort du financement des biens communs et le moindre partage. Et donc là on a vraiment un travail collectif à faire pour ne pas partir dans le mauvais sens.

L’OCDE a fait un très gros travail sur ce sujet qui a permis l’érosion des bases fiscales et du partage des profits, l’initiative BEPS, d’avancer. On a signé un traité multilatéral, la France est en train d’engager la procédure de ratification, il est fondamental, moi j’invite vraiment fortement les États-Unis et la Chine à entrer dans ce traité. On ne le fera pas vivre si les États-Unis et la Chine ne sont pas dedans, il n’y a pas de vrai discours sur la mondialisation si ces deux grandes puissances ne sont pas dedans, allez-y. Parce que c’est le vrai accord de partenariat sur ce sujet pour éviter l’érosion des bases fiscales, c’est la décision qu’on a un cadre pacifique de coopération fiscale qui évite les stratégies d’optimisation des groupes, des entreprises, et la moralité, il faut bien le dire, dans la façon de faire des profits.

Là-dessus, je le dis très franchement, si vous croyez tout ce que vous avez entendu ou les choses qui vous semblaient pertinentes ou tout ce que vous avez pu dire durant ces jours à Davos, alors vous ne pouvez pas faire d’optimisation fiscale comme elle est faite aujourd’hui et vous devez participer à cette lutte. Parce que ça veut juste dire je considère que mon secteur, mon business doit financer les biens communs parce qu’on est dans un monde où il faut financer les biens communs. Et donc sur ce sujet on doit savoir renoncer à l’optimisation fiscale à tous crins et je souhaite qu’on puisse aller beaucoup plus loin en la matière.

Il y a évidemment sur le plan fiscal, un deuxième sujet très important qui est de savoir comment on a une vraie taxation sur le plan mondial du numérique. Les grands acteurs du numérique sont des acteurs fondamentaux pour nos sociétés, pour l’innovation et moi je les ai toujours accueillis, chacun d’entre nous veut les avoir dans son pays, veut les développer, donc ne soyons pas hypocrites ! Mais dans le même temps il y a une double injustice, je ne sais pas dire à une start-up dans mon pays « tu va devenir un champion » quand les grands champions internationaux eux ne paient pas d’impôts dans mon pays et que lui paie tous les impôts. Et je ne sais pas dire c’est formidable la disruption, le changement technologique quand ces champions du numérique créent des changements que je veux accompagner et faire advenir mais que lui ne paie pas d’impôts et que celui qu’il disrupte dans son modèle d’affaires en paie, la TVA, l’impôt sur les sociétés et le reste, « it is not fair model », c’est évident !

Donc on doit mettre fin à ce système qui est injuste et il faut le faire tous ensemble pour ne pas avoir peur que ça enlève de la compétitivité à l’un ou à l’autre parce qu’évidemment comme nous ne nous sommes pas organisés au début on a créé des hubs d’attractivité fiscale ! Et il faut le faire de manière très détendue mais en disant juste c’est un bien commun de la planète et c’est juste parce que les grands acteurs du numérique provoquent des disruptions, ces disruptions vont détruire des millions d’emplois dans le monde, nous allons devoir reformer ces millions de personnes. C’est un bien commun l’éducation, je l’ai dit, on le paie. Si ceux qui détruisent ces emplois n’aident pas au financement de la reformation y compris pour aller vers leur secteur moi je ne sais pas l’expliquer aux classes moyennes et aux classes laborieuses et je pense vous non plus. Donc on doit trouver le bon cadre de coopération fiscale, moi j’espère qu’en Europe on le trouvera cette année, j’espère que l’OCDE le trouvera cette année et qu’on pourra avoir la coopération internationale sur ce sujet absolument fondamental.

Avoir cette coopération et mieux partager ça veut dire aussi retrouver la vitalité de notre coopération sur le plan financier, commercial tel qu’on a pu l’avoir après la crise de 2008, 2010 et tel qu’on l’a un peu perdue. Et là-dessus je veux lancer quelques idées, quelques propositions, moi je suis favorable à ce que le FMI ait le mandat de surveiller la totalité du système financier international dont des pans entiers échappent à la régulation. On a construit le FMI, il a acquis sa légitimité, il regarde des États, une partie du système financier, mais il ne regarde pas les acteurs les plus dérégulés et les plus dérégulateurs de tout le système ! Le bitcoin, les monnaies virtuelles, le shadow banking, tous les plus agressifs sur les marchés financiers, ceux qui peuvent créer des crises financières, déréguler des systèmes, c’est bien fait, on a dit « ça on ne le met pas dans le FMI ».

Nous devons lancer cette discussion, je souhaite qu’on puisse la lancer dans le cadre du G20, je vois notre ami argentin, le Président MACRI, en fin de semaine à Paris, je sais le leadership qu’il veut donner dans le cadre du G20 à l’Argentine et là-dessus le FSB aura un rôle absolument fondamental à jouer et je souhaite qu’on continue sur cet agenda pour donner justement plus de place à cette régulation.

On doit aussi penser la régulation sur le plan des principes des grands acteurs internationaux du numérique et des innovations. Il y a des déstabilisations financières telles que je viens de l’évoquer mais il y a aussi des déstabilisations dans nos sociétés liées à l’innovation technologique. On n’a aujourd’hui pas le cadre pour les penser, à quel moment on va décider de stopper des innovations parce qu’il faudra le faire à un moment donné. A quel moment on va dire l’intelligence artificielle on met une ligne rouge parce que ça disrupte pour le coup non pas des vieux systèmes productifs mais notre rapport à la liberté individuelle, au respect des droits privés, parce que ça met en cause l’intégrité de l’humain et du vivant, il y a des sujets philosophiques et de principe qu’on va se poser.

Il faut qu’on ait le cadre de coopération internationale pour le limiter, pour favoriser l’innovation technologique et aider les grandes plateformes Internet, continuer à développer nos startups et l’innovation mais pouvoir décider des principes qui ne peuvent pas être décidés par des acteurs économiques mais par les États. Je souhaite que nous puissions avoir là aussi une discussion au G20 qui est absolument fondamentale.

Enfin, le dernier défi il est de protéger, protéger en matière sociale, climatique et de lutte contre le terrorisme. C’est un devoir si on veut tenir la mondialisation et ça montre aussi l’importance des États sur certains de ces défis et retour des États. On a pensé pendant des décennies, c’était très à la mode de dire c’est la fin des États, il n’y a plus que les acteurs privés, pour faire face à ces défis il faut des États et une coopération internationale.

Sur le sujet social on doit arrêter cette tendance à détricoter notre droit social pour ajuster la mondialisation et là aussi je souhaite qu’on puisse avoir une discussion au G20 pour qu’il y ait dans le monitoring entre autre fait par le FMI et les grandes instances une surveillance des réformes nationales en faveur de la cohésion sociale, qu’il puisse y avoir un accompagnement aussi de ces sujets, que nous-mêmes en Europe lorsqu’on apporte une aide en particulier dans les mécanismes de cohésion on regarde la convergence sociale, qu’on ait une critérisation de nos mécanismes pour surveiller la convergence sociale entre nos pays. Et qu’on arrête d’être complètement paradoxaux en disant cela dans les enceintes internationales mais parfois en demandant à des pays, les mêmes, de détricoter leur droit social pour pouvoir ajuster les choses à un niveau qui devient sous-optimal et qui ne permet pas la protection minimale pleinement requise. Et donc sur le sujet social je souhaite qu’on puisse là aussi retrouver une vitalité du dialogue entre l’OIT, le FMI et réussir à mettre en place de tels critères.

Sur le climat, on a dit beaucoup de choses, nous nous sommes beaucoup engagés mais nos actes ne sont pas encore à la hauteur de ces engagements. Je veux ici saluer l’engagement fort de la Chine qui a constamment maintenu justement sa présence dans l’Accord de Paris, a annoncé la mise en place d’un marché carbone, ce qui est un élément fondamental de notre action commune en la matière. Je veux saluer l’engagement de l’Inde, le Premier ministre MODI a ouvert ce forum, pour l’Alliance solaire internationale il a joué un rôle fondamental et là aussi c’est un élément de transition essentiel.

Mais nous devons maintenant avoir les actes conformes aux Accords de Paris. Qu’est-ce que ça veut dire collectivement ? Un, l’Union européenne doit aller un cran plus loin et décider d’un prix plancher du CO2. Si nous ne savons pas le faire dans les mois qui viennent nous ne serons pas crédibles, nous avons mis en place un marché carbone, on doit accélérer la transition pour nos acteurs et donc avoir un prix minimum du CO2 et réussir à changer le modèle de production en Europe pour qu’il soit cohérent avec ces engagements.

Deux, ça veut dire, j’étais en Chine il y a quelques semaines, très impressionné par l’initiative diplomatique du président XI qui l’année dernière l’a évoqué devant vous mais ça veut dire que toute l’initiative One Belt One Road doit être cohérente avec nos engagements climatiques. Ces nouvelles routes de la soie doivent être vertes, ça ne peut pas être les routes de la centrale à charbon, ça doit être des routes du renouvelable, d’énergies qui réduisent les émissions de CO2 et on doit tous coopérer justement à cet engagement.

Trois, ça veut dire que nous on doit continuer à aller plus loin et moi je souhaiterais que nous puissions à horizon 2020 vraiment acter d’un pacte mondial pour l’environnement qui serait un vrai garde-fou juridique pour nos sociétés et un outil de la justice environnementale pour nos citoyens.

Et, enfin, il faut que le secteur privé soit au rendez-vous de ces engagements, 12 grandes initiatives ont été prises à Paris le 12 décembre dernier au « One Planet Summit » et je souhaite qu’on puisse les suivre vraiment régulièrement et que l’ensemble des investisseurs, l’ensemble justement des grands donateurs, des entreprises qui se sont engagées puissent rendre compte de manière régulière et montrer qu’il y a un engagement du secteur privé en la matière.

C’est enfin le système financier qui doit accompagner cette mue avec une véritable promotion de la finance verte. Moi je crois que la finance, c’est une bonne chose parce que, je vous l’ai dit, on ne finance pas l’innovation ou ses transformations, mais elle doit aussi financer un modèle de développement durable et l’Europe en la matière a un rôle fondamental à jouer, nous devons dans l’Union européenne, dans la zone euro avoir une vraie place financière verte qui sache justement accélérer le financement de ces modèles de transition.

Enfin, ce devoir de protection c’est un devoir de sécurité pour nos nations et nos populations. Je ne peux pas évidemment ne pas évoquer ce thème essentiel en partageant, pour conclure quelques convictions. La première c’est que nous sommes et nous resterons durablement engagés dans une lutte contre le terrorisme. Elle engage aujourd’hui nos forces de l’ordre sur des conflits divers, parfois contre des puissances étatiques, d’autres fois contre des terroristes organisés de manière très différente que ce soit en Afrique, au Sahel mais dans de nombreuses régions du monde. Il nous faut dans cette lutte continuer à travailler dans le cadre de nos coalitions, militaires et diplomatiques, mais avoir quelques principes clairement arrimés.

Je souhaite que cette lutte continue à se faire dans le cadre du multilatéralisme, on ne doit pas sortir de ce cadre et donc en quelque sorte considérer que la lutte contre le terrorisme doit conduire à des recompositions du monde et à une fragmentation de celui-ci. C’est la lutte contre des groupes organisés qui veulent la destruction de l’autre mais elle ne doit pas justifier une fragmentation aujourd’hui de notre environnement mondial. Et garder le multilatéralisme ça veut dire réussir à garder une stratégie où on met des pressions sur des puissances régionales qui inquiètent, je pense à l’Iran ou la Corée du nord, sans jamais tomber dans l’escalade ni tomber dans la fracturation de certaines régions.

Ensuite, cette lutte doit toujours se faire dans un cadre qui est diplomatique et politique, s’il n’y a pas d’issue diplomatique et politique à la lutte contre le terrorisme alors il y aura la reproduction du terrorisme. Et soyons honnêtes avec nous-mêmes, nous avons parfois produit des situations qui ont conduit au terrorisme en pensant qu’aller supprimer de manière unilatérale un tyran parce qu’il nous contrariait allait régler tous les problèmes. On ne se substitue pas à la souveraineté des peuples, à leurs frustrations, parfois à leurs souffrances, et donc seules des solutions politiques stables, pluralistes, durables permettent de lutter de manière forte contre le terrorisme parce qu’elles évitent justement aux frustrations de revenir dans les différents pays.

Et donc notre rôle, c’est non seulement de gagner la guerre contre le terrorisme mais de construire les conditions d’une paix durable dans les régions du globe qui aujourd’hui sont engagées dans cette lutte. Je pense au Moyen-Orient et je pense évidemment à l’Afrique. Sur ces sujets notre coopération est indispensable, notre stratégie de construction de la paix est indispensable et ça veut dire aussi parce que tout se tient que nous devons redonner du sens à la mondialisation que nous portons dans ces régions. Et c’est là où la politique de développement, notre politique diplomatique est inséparable de notre politique militaire. Si vous luttez dans un pays contre le terrorisme mais que vous n’avez aucune stratégie de développement, que vous n’avez aucune stratégie d’éducation, vous pouvez faire place nette et gagner un jour mais le lendemain les causes qui ont conduit au terrorisme seront toujours là.

Et tout cet agenda mondial se tient, le terrorisme est revenu dans le Sahel parce que nous n’avons pas été au rendez-vous du développement, parce que nous avons reculé en termes d’éducation, parce que nous n’avons pas répondu aux défis du changement climatique et que le rétrécissement du lac Tchad a conduit à une vraie crise économique, morale dans toute la région ! Et la solution ce sont les jihadistes qui l’ont apporté et les différents groupements qui leur sont liés. Et donc vous voyez bien, la lutte contre le terrorisme est militaire, elle est diplomatique mais elle implique d’être au rendez-vous de tous les défis que je viens d’évoquer.

Vous le comprenez bien et je finirai là-dessus, le cœur du nouveau contrat mondial c’est, non seulement qui doit impliquer tous les acteurs, que nous devons être obsédés par la lutte contre la stratégie du passager clandestin mais qui implique aussi d’être cohérent dans nos approches. Nous ne devrions plus conclure d’accords commerciaux lorsqu’ils ne respectent pas nos standards communs, climatiques, sanitaires, fiscaux, sociaux. Nous ne devrions plus avoir des discussions sur certains sujets avec des puissances si elles ne correspondent plus justement aux critères qui sont les nôtres. Nous devons avoir un agenda cohérent en termes de biens publics, ça ne se fera pas du jour au lendemain mais on doit rendre transparent toutes nos incohérences, ce que nous sommes progressivement en train de faire plutôt que de continuer à diverger et à les renforcer.

Ce cadre doit être basé sur la coopération et le multilatéralisme et absolument pas sur une sorte de nouvelle hégémonie, une fascination sur de nouveaux pouvoirs, ce serait une énorme erreur. A présent, une énorme responsabilité nous incombe car ce nouveau cadre est le seul moyen de protéger nos intérêts à long terme, nos biens communs et nos populations. La réponse se trouve en partie ici dans cette salle et d’une certaine façon notre nouvelle frontière n‘est pas une frontière technologique ou géographique mais bien plus notre engagement, nous sommes notre propre frontière dans notre propre conscience.

Si nous nous engageons à rendre la globalisation plus juste, favorable aux classes moyennes, si nous nous engageons à prendre en compte la complexité à long terme de nos décisions et pas simplement les résultats à court terme nous pouvons converger et bâtir une nouvelle mondialisation qui est compréhensive et bonne pour nos populations. En reprenant cette grande idée de progrès nous avons la solution en tant que gouvernement, en tant qu’entreprise, nous avons simplement une question : décidons-nous d’agir, d’aller de l’avant ou pas ? C’est maintenant !

Je vous remercie.