La spiritualité maçonnique ?

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La spiritualité maçonnique ?


Mes  FF :. et mes SS :.

De manière à vous permettre de bien contribuer à la réflexion de ce soir, je vous propose une planche-support en  deux parties.

La 1ère partie comprend 3 chapitres :

1) Définition sommaire du concept de « spiritualité ».

2) Interférences entre ceux de « spiritualité maçonnique » et d’historicité de l’homme.

3) Le franc-maçon, créateur et acteur de SA spiritualité humaniste.

Puis, avant la seconde partie dont je vous préciserai l’articulation plus tard, vous pourrez donc contribuer à enrichir le contenu de cette première partie... bien entendu sous l’autorité et le contrôle de notre V :.M :. .

1ère partie :

1/Définition sommaire du concept de « spiritualité ».

Ouvrons d’abord des dictionnaires  et interrogeons ensuite un philosophe, André Comte-Sponville... ce qui nous donnera, au travers de trois éclairages différents sinon complémentaires, une idée de la complexité de la question.

 - Littré  dit de la spiritualité que c’est le nom du principe, unique ou multiple, qui, dans toutes les religions est placé au-dessus de la nature.

 - Hatzfeld et Darmesteter, la décrivent comme étant de la nature de l’esprit, en rapport à l’âme, en opposition au temporel.

 - Quant à André Comte-Sponville, il évoque une spiritualité sans Dieu, sans dogmes, sans Eglise…

 … et de dire, dans son livre « L’esprit de l’athéisme », qu’un athée  « n’a pas moins d’esprit que tout un chacun, donc tout autant de raisons de s’intéresser à la vie spirituelle. . »

  … ainsi que de  préciser :

« La spiritualité, c’est la vie de l’esprit, spécialement dans son rapport à l’infini, à l’absolu, à l’éternité – étant entendu que ce rapport est lui-même nécessairement fini, relatif et temporel.

Ce rapport est-il l’objet d’une pensée conceptuelle ? C’est ce qu’on appelle la métaphysique.

Est-il l’objet d’une expérience ? C’est ce qu’on appelle alors la spiritualité.

La spiritualité et  la métaphysique ont donc le même objet, qui est l’absolu.

Mais la métaphysique est un rapport conceptuel, spéculatif à l’absolu ; la spiritualité est un rapport empirique, pratique, presque expérimental à ce même absolu.

La métaphysique est faite avec des mots qui sont des concepts ; la spiritualité, avec des silences qui sont des sensations.

Il faut donc les deux : la spiritualité sans la métaphysique ne règle aucune question ; la métaphysique sans la spiritualité est intéressante sur le plan de la  réflexion mais elle ne nourrit pas une existence ».

 Fin de citation.

  2/ Spiritualité et historicité de l’homme.

Existe-t-il une forme de spiritualité particulière à la franc-maçonnerie ? Et si oui, en quoi l’est-elle ?

 Autrement dit, est-il possible qu’à un moment donné de son parcours initiatique, un être humain entré en maçonnerie le plus souvent par hasard, se sente porteur d’intuitions spécifiques à sa condition de maçon ?

Et ceci à partir de travaux symboliques en loge dont équerre, compas et autres outils obsolètes ainsi que références à des mythes  initiatiques irrationnels  forment la trame rituellique

 Mes FF :. et mes SS :. essayons  de visiter  ensemble ce domaine d’ombres et d’émotions où chacun a à trouver sa part de vraie lumière  – c’est en tous cas ma conviction – en tant que maçons libres dans une loge libre où nous sommes le sujet de notre propre création spirituelle et humaniste

 Tout d’abord, l’histoire de l’homme est-elle écrite une fois pour toutes ?  C’est-à-dire finie depuis l’aube des temps ?

Ou alors, n’est-elle que répétitions cycliques d’événements dont la crainte de l’éternel retour nourrit l’angoisse humaine quant aux changements qui pourraient venir interférer dans l’ordre établi ?

Ou bien est-elle, l’œuvre de l’homme... dans la mesure où l’homme est lui-même historique,  c’est-à-dire en capacité, lui-même, de faire l’histoire ?

 Tel est donc notre triple questionnement de départ, en arrière-plan duquel figure nécessairement l’initiation maçonnique en tant que vecteur d’historicité mythique et humaniste.

 En fait, mes chers FF :. et SS :., mythes et historicité de l’homme participent l’un de l’autre.

Car, rappelons-le, gros d’images fabuleuses, les mythes originels disent et mettent en scène les événements, le temps qui passe, les compagnons de route et ainsi donnent corps aux traditions et aux légendes.

La pensée chemine, interprète, commente, tente de mettre de l’ordre dans ce fatras en cherchant des corrélations et des cohérences entre les traditions religieuses et la pratique des métiers.

Alors, au confluent de la spiritualité et de la matière apparaît la démarche philosophique.

 

Comme l’a d’ailleurs bien remarqué Voltaire qui dira :

« Tous les arts de la main ont sans doute précédé la métaphysique »

 

Et puis, à son moment, jaillira des entre chocs entre métier et spiritualité, traditions et légendes, une étincelle, tout aussi mythique : celle de l’initiation maçonnique.

 

« Ne tentant pas d’expliquer, elle n’est pas philosophie.

Ne tentant pas d’imposer, elle n’est pas dogme »

 

Et son particularisme, sa praxis, sera d’être un instrument d’intégration, rituellique, de cultures et de pratiques liées au labeur et au sacré, visant à mettre l’homme et les valeurs humaines au-dessus de toute autre valeur.

   Les mythes d’éternel retour et de progrès, foncièrement à la source de toute historicité humaine, interpellent les francs-maçons dans leur quotidien.

En effet, s’il est un domaine où l’angoisse humaine cherche raisons ou consolations, c’est bien celui du rapport de l’homme à l’histoire et au temps. Avec comme choix celui de subir le chaos spirituel et matériel qui leur sont inhérents ou celui de tenter de les organiser.

Et c’est ce qui fonde peut-être l’essence même de la mission initiatique de la loge où, pour paraphraser Phythagore :

 

« Nul n’y rentre  s’il n’est philosophe mais nul n’y reste s’il n’est que philosophe »

 

3/ Le franc-maçon créateur et acteur de sa propre spiritualité humaniste.

Soyons concrets et non partisans : utilisons le fruit de  l’enquête d’une revue non maçonnique, le « Monde des religions » de décembre 2006.

Feuilletons le dossier qu’elle consacre à « La quête d’une spiritualité sans Dieu » dans lequel elle procède à l’interview de quelques maçons plus ou moins connus.

Je cite :

- Le F :. Antoine, non croyant, qui indique être devenu maçon pour  « se frotter avec d’autres aux grandes questions animant les hommes depuis toujours, la vie, la mort, le sens de l’existence ».

- Le F :. Pierre Mollier,  bibliothécaire du GODF qui atteste de son côté que « la demande d’un travail sur les symboles, d’une attention aux rituels, d’un questionnement philosophique voire métaphysique, s’affirme dans les loges depuis une vingtaine d’années ».

Et qui ajoute que  « chez nous le rapport au divin est complexe. Tant et si bien que certains au départ agnostiques, finissent avec les années par rencontrer l’Eternel, quand d’autres font le chemin inverse, en trouvant un cadre pour une recherche dégagée de tout lien avec une révélation »

-Le Grand Maître, Jean-Michel Quillardet qui s ‘exprimant sur la « spiritualité laïque » lors d’un colloque organisé par Suprême conseil du rite Ecossais Ancien et Accepté le 18 novembre à Lille, planche sur la « symbolique de la Lumière ».

-Le F :. Bruno Etienne, présenté comme  le leader intellectuel des « spiritualistes » du Grand Orient, qui écrit dans un essai collectif, intitulé « Pour retrouver la parole : le retour des Frères » publié sous la direction de l’ancien Grand Maître Alain Bauer :

« Face au déchaînement du matérialisme, je souhaite l’avènement d’un XXIème siècle spirituel, c’est-à-dire dominé par l’esprit. Réfléchir à cette nouvelle spiritualité est une urgente nécessité pour combler le vide laissé par le déclin des grands récits fondateurs, idéologies et utopies ; pour humaniser enfin une humanité parvenue à mettre son monde en danger de mort. C’est l’une des vocations historiques de la franc-maçonnerie ».

Et qui rappelle : « La franc-maçonnerie est avant tout un ordre initiatique traditionnel fondé sur des mythes et des rites utilisant des symboles, soit un système de signes et de messages qui condensent de fortes sensations cognitives visant la libération de l’Homme par l’initiation ».

-Le F :. Bernard Besret, ancien moine devenu franc-maçon et qui confie :

«  Dès l’adolescence, j’ai été en quête de la philosophie éternelle, ce noyau fondamental pouvant être compris et reconnu en tous lieux,  en tous temps. Pour le trouver et le vivre je suis devenu moine cistercien et même prieur de l’Abbaye de Boquen. Mais je n’ai  pu m’accommoder de certains dogmes chrétiens. Je  suis parti.

Après des années de recherche solitaire, j’ai découvert la franc-maçonnerie, ce lieu où l’on peut avancer dans la recherche de la vérité par la confrontation des points de vue, où l’on reste libre de croire en Dieu et de donner à ce mot le sens  que l’on veut.

Philosophes de leur propre vie, les maçons poursuivent une réflexion qui les mène aux questions essentielles pour toute intelligence humaine face au réel.

Ce faisant, ils jouissent d’une certaine vie intérieure, qui peut sans doute être qualifiée de spirituelle.

Peut-on résumer leur démarche commune comme une  spiritualité sans Dieu ?  Oui, si l’on entend par ce mot le Dieu des représentations religieuses classiques.

Au fond ce mot de Dieu me semble devoir être évité, comme source de trop nombreux malentendus »

Fin de citations.

 

Mes FF :. et mes SS :., que nous montrent  ces témoignages  si ce n’est que chacun d’entre nous est en recherche de quelque chose qui à la fois nous dépasse et nous bâtit en tant que franc-maçon ?

Au fond que cherchons-nous si ce n’est « l’or du Temps » ?

Un certain nombre d’entre vous m’ont déjà entendu solliciter cette expression à l’occasion de travaux communs.

D’ailleurs, en préparation à cette soirée de réflexion,vous ai-je fais parvenir par mail  le texte d’une chaîne d’union que j’avais composé à partir de textes maçonniques et de citations profanes émanant de philosophes ou chercheurs athées tels que Jean-Paul Sartre, Jean-Claude Bologne et l’incontournable pape du surréalisme, André Breton.

C’est sur la tombe, un peu abandonnée, d’André Breton, que l’on peut voir une sculpture représentant une singulière Etoile pétrifiée à dix branches, au-dessous de laquelle figure le programme ontologique de l’homme :

Je cherche l’or du Temps

Aussi mes FF :. et mes SS :., avec la permission de notre V :.M :., je voudrais, pour conclure cette première partie de ma contribution, vous emmener faire un petit voyage...

... car, vous le savez, c’est le voyage lui-même qui est initiatique par la somme de découvertes et d ‘interrogations qu’il génère, et non l’objectif à atteindre qui n’est que mirages et frustrations au fur et à mesure que l’on avance.

Aussi, V :. M :., je sollicite le concours du F :. Maître des cérémonies pour me déplacer dans le Temple… autour du pavé mozaïque.

 Mes FF :. et mes SS :., je pense qu’un tel  voyage symbolique et initiatique  nous suggère un questionnement directement en rapport avec l’esprit maçonnique de recherche qui nous anime.

En effet, trois colonnettes figurent autour de ce pavé mosaïque et non quatre. Pourquoi ?

Force, Sagesse, Beauté et quoi encore ?

Pourquoi ce quatrième pilier manquant ? Pourquoi ce vide ? Pourquoi ce RIEN plutôt que quelque chose ? Ou, autrement dit :

Pourquoi pas QUELQUE CHOSE plutôt que RIEN ?

Mes FF :. et mes SS :., chacun est libre d’interpréter le sens de l’accroche que représente ce vide et de le remplir en fonction même de la charge émotionnelle qu’on lui prête.

… Et, à laquelle, libre à nous de donner le prolongement esthétique et spirituel qui convient à la singularité de nos perceptions du monde et de ce qui l’habite et l’entoure...

 

Seconde partie

 

La spiritualité comporte l’ensemble des données culturelles ainsi que leurs aboutissements mystiques, moraux ou éthiques qui peuvent éventuellement imprégner et orienter l’activité d’un individu pendant toute sa vie.

Mais, pour la plupart des croyants, la spiritualité inclut aussi la foi en une justice divine entraînant félicité ou damnation éternelles dans la survivance d’une âme supposée immortelle et responsable après la mort biologique de l’être.

La question est de savoir si la spiritualité est nécessairement liée à la croyance en une transcendance inaccessible à l’entendement humain ou, si au contraire, indépendante de toute tutelle politique ou religieuse, elle a à s’inscrire dans le champ de la liberté de conscience et de pensée ?

Cette controverse jalonne l’histoire de l’humanité dans un cortège de bains de sang et de cruautés inouïes qui rabaissent l’humain en dessous de la bestialité et démentent toute prétention à la spiritualité.

Finalement, il n’y a qu’une seule manière de faire face sereinement à la précarité de l’existence biologique : c’est de mener sa vie de façon constructive et droite, selon la spiritualité que l’on a adoptée – religieuse ou philosophique – et de laisser les autres humains vivre librement selon leurs cultures et spiritualité diverses.

Pour cela, il, faut éviter de se laisser circonvenir par l’endoctrinement dans une spiritualité impérialiste ou totalitaire.

Ceci conduit donc chacun à s’édifier une spiritualité imprégnée de tolérance humaniste et, par conséquent, une spiritualité laïque qui met l’homme et les valeurs humaines au-dessus de toute autre valeur.

C’est ce que Protagoras avance par l’intermédiaire de sa formule célèbre :

« L’Homme est la mesure de toutes choses ».

  Mes FF :. et mes SS :., pour les sociologues, les différentes formes de démarches initiatiques sont une revivification de la condition humaine au contact du sacré.

 L’homme a conscience de la marge d’indétermination que comporte son statut d’être pensant et actif. C’est ce que les anthropologues appellent le numineux, lequel consiste à mettre en rapport ce qui semble contenu dans l’existence humaine avec ce qui paraît la dépasser.

A ce titre, l’utilisation rituellique de procédés (que l’on peut qualifier de freudiens et d’œdipiens) visant à mettre en rapport le monde profane et le monde sacré par l’intermédiaire d’une victime « émissaire » (la catharsis, chère à Aristote) trouve un formidable écho dans la praxis maçonnique.

Car qu’est-ce que l’initiation maçonnique si ce n’est une série d’actions orientées vers une certaine fin et dont l’indicible trouve communication par le jeu des mythes et symboles ?

Mircea Eliade fait remarquer que « le sacré est l’élément essentiel de la condition humaine : l’homme se constitue par rapport au sacré »   .

Ce que complète notre F :. Henri Tort-Nouguès par ce constat :

« Le sacré n’est pas seulement un stade de l’évolution de sa conscience de l’homme mais un élément de sa structure.

On retrouve cette structure sacrale au cœur de l’institution maçonnique à travers la pratique de ses rituels et dans son expression symbolique comme dans sa démarche initiatique.

Cette dimension sacrée de la conscience humaine est essentielle. Son affirmation est nécessaire et indispensable pour assurer la sauvegarde de l’homme lui-même car l’homme d’aujourd’hui comme celui d’hier ne peut vivre dans le désordre et la nuit, dans le chaos et les ténèbres : il a besoin d’ordre et de lumière, matériels et spirituels ».

 

Mes FF :. et mes SS :. j’ajouterai quant à moi que le franc-maçon est un « cherchant ».

Dès lors il n’échappe pas à la crise de conscience due à son état. Il ne se drape pas  dans une posture purement mystique qui se bornerait  à recevoir ce qui vient à lui ; voie radicalement incompatible avec la voie initiatique.

En fait, ce sont les deux idées-forces de la maçonnerie, Fiat Lux et Ordo ab Chaos  qui forgent son historicité, au sens de  transmission « hiramique »  des valeurs  d’un humanisme militant…

… oui ! humanisme militant ? Mais en tant que rencontre de l’esprit et de la raison dans toute conscience humaine ; car la Lumière ne naît pas des ténèbres mais les chassent, de même que l’ordre ne succède pas au chaos mais l’ordonne.

Il s’agit donc pour le maçon de reconquérir son existence et d’agir au dehors pour contribuer à sauver l’humanité du chaos matériel et spirituel qui l’imbibe et la désoriente à perdre raison.

Cette spiritualité maçonnique s’inscrit en fait dans une praxis où finitude et pérennité du Maître Hiram ne font qu’un.

En effet Hiram ne jouit pas de l’immortalité mythique des dieux antiques ; il n’est pas d’essence christique et par là-même ne dispose pas du véhicule de l’âme en attente de la résurrection.

Il se situe hors du temps et dans une permanence qui allie tout à la fois sa présence et celle des Maîtres maçons transcendés par son exemple, son énergie vitale et son sacrifice.

Il donne sens à la vie qui exprime au travers de lui sa pérennité par l’Amour et la Fraternité.

L’homme étant ainsi non immortel mais constant dans la cohorte des initiés, cette permanence initiatique traverse le temps en tant que Devoir de Conscience.

J’ai dit

H.Sodak

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