Pourquoi parler du "transhumanisme" en loge ?

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 Trois raisons peuvent inciter à parler du transhumanisme en loge : Les Lumières ; Le transhumanisme cherche à améliorer l'homme ; l’implication du GODF.

Examinons-les rapidement :

1ère raison : Les Lumières. Ses promoteurs revendiquent comme source « les Lumières » et font référence à l'humanisme. Ils veulent utiliser la raison, la science et les techniques dans le but de lutter contre la pauvreté, la maladie, le handicap, la malnutrition et les gouvernements dictatoriaux dans le monde. De nombreux transhumanistes vantent le potentiel qu'offrent les techniques futures et les systèmes sociaux innovants pour améliorer la qualité de la vie. Ils pensent que nous devons favoriser le progrès technologique car c'est un moyen de venir à bout de la pauvreté et de la maladie.

Mais, si le progrès était vu par les « Lumières » comme une valeur morale d'autonomie et de liberté, le transhumanisme, lui, le considère surtout comme une promesse de progrès matériel.

2ème raison : Le transhumanisme cherche à améliorer l'homme. C'est le but affiché. Mais bien que les théoriciens et les partisans du transhumanisme cherchent à utiliser la raison, la science et la technologie afin de contrer les maux du monde, le transhumanisme, en fait, se distingue par l'intérêt particulier qu'il porte à l'application des techniques à l'amélioration du corps humain.

Cependant il faut être lucide et voir que, sous couvert de s’intéresser au collectif, il s'agit avant tout d'une démarche individuelle ainsi que la prédominance donnée à la technique.

3ème raison : Implication du GODF. Le GODF s'est impliqué à travers sa Commission Nationale de Santé Publique et de Bioéthique (CNSPB) dans la réflexion sur la Bioéthique. Or, selon les travaux de cette commission, le transhumanisme pose des problèmes de bioéthique car il rêve de changer l’Homme de manière importante et car sa philosophie conduit à une transformation radicale de l’Humanité. (Extrait du rapport du F :. J-J Castellani, Délégué CR15 en 2014). Il convient de noter qu'en fait les changements recherchés par les transhumanistes portent essentiellement sur le corps.

Il faut également signaler une action en cours du GO qui, dans le cadre des « Engagements d’Humanisme », « propose de raviver les valeurs de l’humanisme afin de redonner à la société une pleine conscience de la dignité humaine, un sens qui relie les citoyens ». Cette implication se traduit par l'organisation de TBO (décembre 2016 et février 2017) sur le thème « Le Transhumanisme est-il encore un Humanisme ? ».

Le Transhumanisme pose donc beaucoup de questions, entre autre existentielles, dont peuvent s'emparer les francs-maçons.

Essayons donc d'avoir une vision plus nette de ce qu'est le transhumanisme.

Définitions

Il existe plusieurs définitions du Transhumanisme qui, comme souvent pour quelque chose qui émerge, évolue avec le temps et les personnalités qui s'y intéressent.

 Bien avant l'apparition du transhumanisme, Plotin (Philosophe grec 205-270) disait : « Si tu ne vois pas encore ta propre beauté, fais comme le sculpteur d’une statue qui doit devenir belle : il enlève ceci, il gratte cela… De la même manière, toi aussi, enlève tout ce qui est superflu, redresse ce qui est oblique » (Énnéades). De même Pic de la Mirandole appelait lui aussi l'homme à « sculpter sa propre statue » (Humaniste italien - 1463-1494).

En 1957, c'est Julian Huxley (le frère de Aldous auteur du « Meilleur des mondes ») qui a introduit le terme de transhumanisme. Mais le concept qu'il désignait alors diffère sensiblement de celui auquel les transhumanistes font référence depuis les années 1980.

Puis, en 1990, Max More créa sa propre doctrine transhumaniste qu'il exprima sous la forme des « Principes de l'Extropie » (en anglais, « Principles of Extropy » - L'extropie est l'inverse de l'entropie (l'entropie d'un système caractérise son degré de désordre) et se fonde sur la foi en un progrès illimité par la science et les techniques). Il posa les bases du transhumanisme moderne en lui donnant une nouvelle définition qui est celle-ci :

« Le transhumanisme est une classe de philosophies ayant pour but de nous guider vers une condition post-humaine. Le transhumanisme partage de nombreuses valeurs avec l'humanisme parmi lesquelles un respect de la raison et de la science, un attachement au progrès et une grande considération pour l'existence humaine (ou trans-humaine) dans cette vie. […] Le transhumanisme diffère de l'humanisme en ce qu'il reconnaît et anticipe les changements radicaux de la nature et des possibilités de nos vies provoqués par diverses sciences et techniques […]. »

La WTA, c'est-à-dire l'Association Transhumaniste Mondiale, donne deux autres définitions du transhumanisme :

1- La première définition est la suivante : « Le transhumanisme est « le mouvement culturel et intellectuel qui affirme qu'il est possible et désirable d'améliorer fondamentalement la condition humaine par l'usage de la raison, en particulier en développant et diffusant largement les techniques visant à éliminer le vieillissement et à améliorer de manière significative les capacités intellectuelles, physiques et psychologies de l'être humain ».

2- Voici sa deuxième définition : « C'est l'étude des répercussions, des promesses et des dangers potentiels de techniques qui nous permettront de surpasser des contraintes inhérentes à la nature humaine ainsi que l'étude des problèmes éthiques que soulèvent l'élaboration et l'usage de telles techniques. ».

Pour terminer et afin de mieux comprendre ce qu'est le transhumanisme, voici l'introduction d'un article paru dans Le Monde du 14/02/2015 : « S'il fallait résumer la philosophie transhumaniste en une seule idée, la plus extrême mais aussi la plus saisissante, ce serait celle-ci : un jour, l'homme ne sera plus un mammifère. Il se libérera de son corps, ne fera qu'un avec l'ordinateur et, grâce à l'intelligence artificielle, accédera à l'immortalité. »

En résumé, il ressort de ces différentes définitions évolutives dans le temps, que l'utopie transhumaniste vise à créer un être humain libéré de ses entraves biologiques grâce aux nouvelles technologies. Le but est d'augmenter les capacités physiques et intellectuelles de l'homme afin de parvenir, au final, à créer un être immortel.

 GOOGLE : UN ACTEUR INQUIETANT DU TRANSHUMANISME

Ce qui doit nous inquiéter, par exemple, c'est ce que raconte Steven Levy, qui est un journaliste américain qui a plusieurs fois interviewé MM. Page et Brin pour écrire son livre sur les cofondateurs de Google. Le journaliste rapporte une de leur vision de l'évolution de leur entreprise : « il y a des années, ils s'amusaient déjà à imaginer que Google serait finalement un implant cérébral qui vous donnerait la réponse quand vous pensez à une question ».

Je vais faire une petite parenthèse à propos de cet implant suggéré par les fondateurs de Google en évoquant un dessin que j'ai vu il n'y a quelques temps et qui illustre bien cela. Dans ce  dessin un père demande à son fils ce qu'il veut faire plus tard et le fils lui répond : « ça dépend des puces électroniques qu'on m'aura implantées ».

Tout le monde peut imaginer sans peine où tout cela peut nous mener.

Revenons aux fondateurs de Google. L'un d'eux, Larry Page, plaide également « pour qu'« une partie du monde » puisse être « mise de côté » afin de s'affranchir des lois qui l'empêchent d'innover et de tester de « nouvelles technologies controversées ». Quand on sait que Larry Page « rêve d'un lieu sans protection des données ni responsabilité démocratique », c'est révélateur d'un sentiment de supériorité qui n'augurent rien de bon.

L’inquiétude est aussi de mise quand on connaît les pratiques de Google qui est une société à vocation hégémonique, qui tente de se parer de vertu alors qu'elle est parmi les premiers collecteurs de donnée personnelles, qui essaye de se mettre du côté des défenseurs des libertés alors qu'elle tente d'enfermer ses utilisateurs dans son écosystème. Cette société  essaye en permanence de tourner les principes à son avantage afin d'échapper à la régulation. Au final, quand on sait que Google s'intéresse fortement au transhumanisme, cela donne froid dans le dos ! C'est d'autant plus préoccupant que Google détient actuellement une position dominante, qui n'augure rien de bon pour l'avenir. Le résultat c'est que, à l'avenir - mais peut-être même déjà actuellement - nous ne verrons du réel que ce que Google voudra bien nous montrer, exactement comme cette société ne nous montre d'internet que ce que son algorithme veut bien nous montrer.

Google détient actuellement un droit de vie ou de mort sur les entreprises et, si cela continue, viendra le jour ou, à travers le transhumanisme, elle détiendra également un droit de vie ou de mort sur les êtres humains.

Mais Google n'est pas la seule société en cause car on est face à une vision du monde, et à une nouvelle sorte de religion fondée sur l'immortalité qui se répandent dans la Silicon Valley.

REFLEXIONS INDUITES PAR LE TRANSHUMANISME

De tout ce qui précède, je vois émerger des aspects qui méritent d'être mis en avant :

  • 1er aspect : après 1968, dans les années 70, les idéaux poursuivis étaient de changer le monde. Les plus anciens d'entre nous peuvent sans doute en témoigner. Mais actuellement ces idéaux ont disparus au profit d'une volonté de changer l'homme. Le problème, c'est que, ce que l'on veut changer dans l'homme c'est l'enveloppe. On a en effet pris conscience que notre corps est limité, fragile, qu'il s'altère par la maladie, qu'il vieillit et qu'il finit par devenir poussière avec le temps qui passe. Mais cela ne correspond pas au système de pensée occidental actuel qui recherche une efficacité et une efficience maximales, une jeunesse « éternelle » et qui accorde une importance primordiale à l'image et à la domination des autres. Il faut toujours être le plus beau, le plus fort, bref, être, dans tous les domaines, supérieur aux autres.
  • 2ème aspect : Il fut un temps où tout était dans la tête : on essayait de déchiffrer l'inconscient, de sonder les tréfonds, les mots prononcés – ou pas –, le ça, le surmoi, etc. C'était le temps du qualitatif. Mais notre époque a changé et a viré au quantitatif car l'homme est de plus en plus connecté et ce qu'il recherche ce sont des chiffres, des données, des statistiques sur lui-même. Il cherche son « Big data ». Il ne veut pas savoir d'où il vient, mais combien il mesure, dort ou consomme. Ce qu'il veut savoir c'est, non pas où il va, mais combien de pas il fait. L'homme a pour objectif de se quantifier afin de mieux se mesurer à lui-même, afin de se dépasser. Cela lui est possible grâce à l'inventivité des chercheurs et des développeurs de la Silicon Valley, qui lui permettent de s'explorer à l'infini. Nous entrons dans l'époque de la « quantification du moi ».
  • 3ème aspect : dans le monde ultralibéral dans lequel nous évoluons tout est évalué et apprécié selon sa valeur économique. Le corps humain n'échappe pas à la règle. Il est perçu comme un assemblage de pièces, d'objets, de matière première, d'informations que l'on peut modifier, remodeler ou remplacer. Au 19ème siècle le corps était assimilé à un outil dont la valeur marchande était liée à la force de travail. Actuellement nous sommes confrontés à la marchandisation de tout ce qui existe sur terre. Tout, y compris le vivant, peut donc s'acheter et se breveter.
  • 4ème aspect : Pour ce point je vais vous citer un extrait du rapport  de la Commission Nationale du GO sur les Questions de Santé Publique et de Bioéthique qui indique que la vision transhumaniste des êtres vivants consiste en « un agrégat d'informations modifiables, stockables, échangeables à souhait. De ce point de vue, l'individu n'existe pas, il s'efface derrière la somme de données qui le compose ... ». (CNSPB ; Tome 11 – Page 135).
  • 5ème aspect : Les transhumanistes pensent que l'humain vit dans un univers d'informations et que son corps est, à la limite, uniquement à considérer comme étant une machine. C'est oublier que l'homme communique et donne un sens à son univers grâce à ses perceptions sensorielles. L'homme est doué de la parole alors que les machines, malgré l'émergence de l'Intelligence Artificielle, ne font qu'échanger des données numériques, c'est-à-dire des séries de 0 et de 1. La grande différence réside dans le sens qui est véhiculé par l'usage de la parole.
  • 6ème aspect : Ce que l'on oublie volontiers de dire également c'est que la cible visée, marchandisation oblige, c'est l'homme riche et qui est un habitué des dernières technologies multimédia. Ce n'est donc pas par hasard que certaines société, dont Google, s'intéresse à ce créneau qui leur semble très lucratif.
  • 7ème aspect : Tout ce qui précède génère des questions sociétales, scientifiques, éthiques et philosophiques telles que celles-ci :
  1. Que sera notre corps demain si on lui applique les objectifs transhumaniste ?
  2. Jusqu'où pouvons-nous modifier notre nature biologique, notre ADN, pour faire reculer la mort ?
  3. Quel est le sens de la vie si on ne laisse plus de place au hasard et comment évoluera-t-on alors sans le hasard ?
  4. Serons nous encore humain lorsque l'on aura modifié ou remplacé toutes nos fonctions biologiques et/ou que notre corps sera truffé d'implants ?
  5. Les progrès en biologie permettent actuellement de synthétiser les gènes d'une bactérie. Un homme créé par synthèse de ses gènes est-il toujours un humain ?
  6. Ou bien encore : qu'adviendra-t-il de la majorité de l'humanité qui n'a pas les moyens financiers d’accéder aux soins les plus élémentaires et donc encore moins les moyens d'accéder à ce corps infaillible, éternel, aux capacités supérieures et aux sens hypertrophiés ?
  7. Ne crée-t-on pas une injustice envers les « non-transhumanisés » ?
  8. Ne va-t-on pas créer un monde avec des ghetos : d'un coté ceux qui ont les moyens financiers qui leur donnent accès à tout, y compris l'immortalité, et de l'autre les plus démunis qui n'auront accès à rien ?
  9. Si une majorité obtient une longue vie ou l'immortalité va alors se poser le problème de la surpopulation sur terre ; ne faudra-t-il pas alors préconiser une restriction de la procréation (Malthusianisme) ?
  10. Faut-il suivre aveuglément les transhumanistes, qui comptent des leaders parmi les dirigeants de l'économie numérique - les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) - et prônent une modification illimitée de l'homme pour combattre la mort ?

Cette liste de questions, non exhaustive, mais qui nous interrogent sur la nature de  l'Homme, nous incite à une exploration des perspectives du transhumanisme.

PERSPECTIVES DU TRANSHUMANISME - (LES ENJEUX)

Le transhumanisme prône l'hybridation de l'homme à la machine et la connection directe du cerveau au cloud.

On est donc face à une transformation radicale de l'humanité. Le corps devient un enjeu  de politique et de société majeur. Actuellement les potentialités technologiques deviennent illimitées et elles soulèvent donc tout naturellement des craintes quant à leur utilisation. Une régulation de la part de la société et donc de la part du politique est impérative.

Du résultat de la confrontation entre les transhumanistes et les anti-transhumanistes dépendra ce que deviendra l'homme.

Mais, si l'on finit par accepter de changer l'homme grâce au transhumanisme et que l'on s'engage dans cette voie qui conduit au « post-humain » ou à « l'homme augmenté », il devient alors évident que l'homme aura tout simplement renoncé à son humanité.

Se pose alors une importante question : Qui sera le chef d'orchestre ?

J'espère que cela ne sera ni Google, ni Amazon dont le rêve ultime est que « son client vive et respire Amazon ». Car dans ce cas le pire est certain ! Et le pire qui nous attend alors, c'est la perte de la liberté ainsi que la disparition de l'égalité et de la fraternité.

L'accélération des progrès technologiques et de l'intelligence artificielle nous fait entrevoir, dans un futur peut-être pas si éloigné, le moment ou, selon Jaron Lanier (chercheur chez Microsoft), « la machine nous gardera peut-être comme animaux de compagnie ».

CONCLUSION

Le transhumanisme nous incite à la réflexion car il affiche des buts que nous, franc-maçons, revendiquons : améliorer l'homme et la société. Mais si les buts sont semblables, il y a de très grandes différences d'approche et de moyens pour les atteindre.

Il me paraît en effet évident que la réflexion sur l'Homme (avec un H majuscule) menée par les promoteurs du transhumanisme ne se fait pas selon un axe philosophique mais uniquement par une approche individualiste et mercantile.

L'ambition dominante reste toujours la même et elle est très terre à terre : elle est de se donner les moyens de faire toujours plus de bonnes affaires. Ce qui se construit c'est une société où tout est à vendre, ce qui conduit à une civilisation sans culture et où l'humanisme aura disparu. C'est donc une régression pour l'homme.

Vous pensez peut-être que tout ceci n'est que de la science fiction et qu'il n'y a aucun danger. Mais rien n'est moins sûr, car actuellement on investi beaucoup dans la technologie mais presque rien dans la sagesse pour la gérer ! Car d'éthique il n'en est pas beaucoup question. Or l'éthique doit s'appliquer avant et pendant les travaux de recherche. Mais certainement pas après, car alors, il est bien trop tard.

Ce qui se dessine dans cette phase de mutation et de bascule en cours vers un monde numérique, c'est peut-être la fin de l'humanisme.

Force est de constater de ce qui précède que le transhumanisme est plutôt éloigné de nos valeurs et de nos principes résumés dans notre devise : Liberté, Égalité, Fraternité.

Je crois que nous devons en tant que franc-maçon, affirmer, plus que jamais dans la cité, l'importance de nos valeurs et surtout participer à la promotion d'un modèle où le mot « humain » gardera encore tout son sens.

Je pense qu'il y a danger pour l'homme dans cette société occidentale, certes en mutation, mais au futur qui me semble toujours uniquement tournée vers l'argent et les apparences et dont le rejet par certains conduit à des actes d'une extrême barbarie ?

J'ai dit.

COMME MOT DE LA FIN, UNE CITATION : « Donnez de la vie à vos jours plutôt que des jours à votre vie » - Rita LEVI-MONTALCINI (1909 – 2012 ; neurologue italienne, prix Nobel de physiologie ou médecine 1986)

SOURCES DOCUMENTAIRES : Divers articles du journal Le Monde et un article de Corse-Matin ; Hors-série Le Monde « L'HISTOIRE DES INVENTIONS. Jusqu'où irons-nous ? » ; Encyclopédie WIKIPEDIA ; Rapport de la Commission Nationale de Santé Publique et de Bioéthique (Publication : Question de Santé Publique et de Bioéthique - Tome 11 – page 133 à 155) ; Site : https://sites.google.com/site/transhumanisation/home.