De l’introduction de la loi dans l’histoire : les lois mémorielles et l’exemple du génocide arménien

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De l’introduction de la loi dans l’histoire : les lois mémorielles et l’exemple du génocide arménien.


L’Histoire n’est pas un simple mot qui définit le passé. Elle est une étude permanente ; elle est toujours en recherche de la signification des événements. De ceux qui donnent « honte d’être un homme »  à ceux qui donnent confiance en l’homme. L’Histoire ne sera donc jamais absolue, mais toujours susceptible de remises en cause.

Pourtant, l’Etat, en France, a décidé de ne plus laisser la place à cette libre activité. En faisant des lois sur une vérité de l’histoire, il institue une Histoire officielle. En satisfaisant aux revendications communautaires, il ouvre la voie pour que chacune d’entre elles se livre à une compétition de souffrance. En condamnant toute interprétation historique qui ne reconnaîtrait pas, par exemple, le massacre des Arméniens de 1915 sous le nom de génocide, il trace le crépuscule de la raison. N’a-t-on jamais entendu parler de certains Etats, comme de certains gens, qui brouillent les cartes en forçant à penser ce qui doit être ?

Dès la loi Gayssot du 13 Juillet 1990, un problème s’était réellement posé. De quel droit l’Etat intervient-il en légiférant sur l’Histoire ? Certes, il est nécessaire de conduire devant les tribunaux tous les acteurs ou incitateurs à la destruction et l’anéantissement de l’humanité, tous les responsables de la Shoah. L'accord de Londres du 8 Août 1945 reste en ce sens magistral puisqu’il condamna, à Nuremberg, les criminels nazis. Il serait par ailleurs hors de question de ne pas condamner ceux qui offensent la mémoire des victimes. Toutefois, une telle volonté ne doit pas conduire à une histoire officielle.
C’est ce risque que condamna Madeleine Rébérioux , présidente d’honneur de la ligue des droits de l’homme, il y a déjà dix ans. Elle craignait un effet d’entraînement. La vérité tend à dépasser ses prévisions lorsque l’on constate l’actuelle boule de neige parlementaire contre tant de discussions des faits historiques. En somme, contre l’usage de la raison. 

D’un Président de la République qui, le 16 juillet 1995, implique la nation française dans la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942   à la loi Taubira du 21 mai 2001 qui condamne l’esclavage dans les limites des colonies européennes, il apparaît de plus en plus certain qu’un travail de sape philosophique et scientifique est à l’œuvre. Malheureusement, comme l’écrivait Merleau-Ponty, « on ne sert pas les âmes par l’à peu près et l’imposture » .
Les conséquences en sont pourtant dramatiques. Ainsi l’historien Pétré-Grenouilleau, pour avoir déclaré le 12 juin 2005 dans Le Journal du Dimanche que «les traites négrières ne sont pas des génocides» car «la traite n'avait pas pour but d'exterminer un peuple» le voilà poursuivi en justice pour « apologie de crime contre l’humanité ». La loi Taubira oblige, en effet, à penser que la traite négrière est un génocide. La vérité était donc, encore une fois, rejetée par l’appareil d’Etat.

Malgré une pétition « Liberté pour l’histoire » de 19 historiens éminents parue d’abord dans Libération le 13 décembre 2005 puis reprise en octobre 2006, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le jeudi 12 octobre, une proposition de loi tendant à réprimer pénalement la contestation de l’existence du génocide arménien. Cette proposition de loi déjà déposée le 12 avril dernier par le groupe socialiste pour compléter celle du 29 janvier 2001, relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, est malheureuse.
De quel droit, en effet, le Parlement français intervient-il dans la vérité historique des peuples Turcs et Arméniens ?

Alors même que des historiens travaillent dans ces pays afin d’étudier le processus qui conduisit à l’extermination de plus d’un million d’Arméniens par le gouvernement Jeune-Turc à partir d'avril 1915, que doit-on penser d’un Parlement français qui, au nom de l’amour et de la paix entre les peuples, condamne l’enquête historique à ne pas discuter. Pourtant, c’est bien nier ce que la recherche historique demande. Elle progresse pas à pas et réajuste la vérité au fil de la découverte des archives. Elle n’est jamais absolue. Comme l’avait déjà souligné Pierre Vidal-Naquet, il faut laisser l’histoire libre d’être discutée par les historiens dans la mesure où faire d’une vérité historique une vérité légale ouvre la voie à bien des dangers.   Serait-il, en plus, supportable d’instituer les révisionnistes en martyrs en leur donnant l’occasion d’être innocenté comme en 1983 avec Faurisson ?

Les arguments des parlementaires en faveur de cette nouvelle loi ont relevé de la morale. Il fallait, selon eux, une réponse notamment adaptée aux graffitis négationnistes qui suivirent l’inauguration d’un mémorial dédié au génocide arménien, à Lyon, le 24 avril 2006.

Le problème, cependant, reste le même. Les tribunaux ne sont pas habilités à délivrer les vérités historiques. Comme ont pu le soutenir, en même séance, Michel Piron et Marc Laffineur, ce n’est pas en légalisant une vérité et en interdisant de la discuter, chose par ailleurs contraire à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que l’on éradiquera les mauvaises idées. Au contraire, il faut travailler au dialogue et à la pédagogie en laissant la recherche historique faire son travail. Elle seule est en mesure de préciser la réalité.

On comprend en cela Pierre Nora déclarant que « légiférer sur le génocide arménien, c'est stériliser l'histoire ».

Le savoir humain, qui donne la force de rejeter les préjugés et l’uniformisation des consciences sans singularité ni révolte, est une lutte pour approcher la lumière toujours plus vive de la vérité. Porter atteinte à l’indépendance de la recherche historique c’est ne plus vouloir l’humanité de cette démarche et mettre au-dessus de tout l’éternelle béatitude de l’ignorance et du politiquement correct.

Il faut être cohérent : si le chef d’Etat n’intervient pas pour annuler cette nouvelle loi mémorielle, il devra forcément condamner, avec le Parlement, le génocide actuel au Darfour. Mais cela, n’est-il pas du seul ressort des organisations internationales ?

Jérémy Mercier