La laïcité est menacée

Attention, ouverture dans une nouvelle fenêtre. PDFImprimerEnvoyer

La laïcité est menacée

 Une commission mise en place par un ministre de la République, la commission Machelon, ouvre la voie au financement des cultes par l'État. Sans réaction du côté des pouvoirs publics ou des «partis de gouvernement».

La laïcité est menacée. Cette affirmation n’est pas la conséquence d’une névrose obsessionnelle ; elle est confirmée par la simple relation des faits. En 2001, le juriste Guy Braibant, membre du groupe qui rédigea La Charte des droits fondamentaux, écrit dans un petit livre sur le sujet publié au Seuil : « Le deuxième enjeu […] tient à la laïcité de l’Europe. Celle-ci est laïque par prétérition ou encore, laïque sans le savoir. Elle l’est tout simplement par le fait que les traités européens ne contiennent aucune allusion aux religions, sauf pour affirmer le respect de leur liberté et de leur diversité, et que ce silence est l’expression d’une séparation totale des Églises et des institutions européennes, ce qui est la définition même de la laïcité ». En d’autres termes, il suffit de ne pas mentionner une valeur pour que celle-ci s’affirme et prenne corps !

Guy Braibant poursuit : « La plupart des pays qui la composent [l’Europe], ne sont pas eux-mêmes laïques et certaines de leurs Constitutions se réfèrent à Dieu. C’est d’ailleurs pourquoi la laïcité n’a pu être acceptée parmi les valeurs communes de l’Europe » Après avoir été laïque par prétérition, l’Europe ne l’est plus, et la laïcité à la française est réduite à la liberté de pensée, de conscience et de religion de l’article 1 de la loi de 1905, alors que l’article 2, instituant la séparation des Églises et de l’État passe à la trappe ! Ce qui sera confirmé en 2005, par l’absence de toute référence à la laïcité dans le texte du Traité constitutionnel européen, et par l’apparition de l’article 52, concernant « le maintien d’un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les Églises » et de l’article 70 concernant le droit d’affirmer ses convictions religieuses dans les espaces publics.

Soumis à référendum, le Traité est repoussé par 55,3 % des votants, mais Nicolas Sarkozy, n’en démord pas. Il souhaite « toiletter » la loi de 1905 et, le 20 octobre 2005, il charge Jean-Pierre Machelon, professeur à l’Université de Paris V, de conduire « les travaux d’une Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics ». En juin 2006, la Commission rend ses conclusions, lesquelles n’ont suscité à notre connaissance, aucun commentaire ou débat, autre que la condamnation de toute révision par les obédiences maçonniques françaises. Signalons que la Commission n’a auditionné aucun représentant des obédiences ou de la Libre Pensée, mais ceux de toutes les religions, de l’Église évangélique au porte-parole officiel des Témoins de Jéhovah !

Sans entrer dans le détail des différentes mesures proposées, nous ne traiterons que la principale à nos yeux. Si l’article 1 de la loi de 1905 : « La République assure la liberté de conscience… » ne suscite aucun commentaire ou critique, l’article 2 sent la poudre, pour la commission Machelon. Voici le rappel du passage essentiel : « La loi ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, […] seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes ».

Le texte retire ainsi aux Églises la place dans l’organisation des pouvoirs publics que les régimes concordataires leur avaient permis de conserver. Pour renverser cette citadelle, la commission Machelon use de différents arguments : l’actualisation de la loi ne menace nullement notre héritage républicain (p. 10), l’Islam et l’Église évangélique sont victimes de discriminations de la part de certains maires qui abuseraient de la préemption (p. 11), des dérogations nombreuses ont déjà eu lieu (p. 21), et conclut : « au sein de l’article 2, seul doit être regardé comme relevant du niveau constitutionnel, le principe général de neutralité et d’indétermination religieuse de l’État ». Ce qui évacue le principe de séparation des Églises et de l’État. Ainsi modifiée, la laïcité française devient compatible avec l’article 70 du Traité constitutionnel européen, comme cela est confirmé page 20 : « La laïcité constitutionnelle a été à cette occasion (avis du Conseil Constitutionnel concernant le fameux Traité), lapidairement définie comme la soumission à la loi commune… On ne peut qu’être frappé dans les motifs de la décision du Conseil Constitutionnel de toute référence à la loi de 1905 comme source formelle, aussi bien de la laïcité que de la liberté de religion ». Cette argumentation sert de base aux différentes propositions de la Commission, dont nous ne retiendrons (p. 26 ) que «l’insertion dans le code général des collectivités de la possibilité pour les communes et leurs groupements, d’accorder des aides à la construction de lieux de culte ».

Ce projet de toilettage comporte de nombreuses autres propositions, mais il ne faut pas que l’arbre de ces révisions, sous prétexte de l’harmonisation législative européenne, cache la forêt de leurs conséquences. Les communautés religieuses et sectaires pourront revendiquer devant la Cour de Justice européenne, au nom de la loi européenne, le respect de leurs exigences : revendications en faveur des écoles privées, demande d’enseignement religieux à l’école publique, contestations de certaines avancées médicales, biologiques ou sociales : des vaccinations et des transfusions aux examens par des gynécologues masculins, des greffes d’organes au planning familial et à l’IVG ! Vive la conception Sarkozyste de la liberté de pensée et de l’intérêt public !

Gilbert Legay