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Intime conviction et prosélytisme
Écrit par Jean Felix Hurbin
Intime conviction et prosélytisme
Ce que je souhaite développer dans ces lignes est que le fait d’avoir la révélation et l’intime conviction d'une explication totale du monde, et du sens de la vie, crée immédiatement un certain nombre de choses qui ne vont pas dans le sens du « vivre ensemble ».
En effet, dès que je crois, il y a pour moi ceux qui croient, comme moi, et tous les autres : autant je vais me sentir bien (reconnu, aimé, protégé, nourri,…) par ceux qui croient comme moi (ma communauté), autant les autres, tous les autres, vont me poser un problème : pourquoi cet autre ne croit-il pas, comme moi, à quelque chose qui à moi me paraît aussi sûr, aussi vrai, aussi beau ?
Plusieurs réponses sont possibles :
- ou bien cet autre n'a pas eu « l’info » ;
- ou bien il a bien une info, mais pas le « moteur d'interprétation », la « grâce de la Foi » que mon Dieu m'a envoyée mais pas encore à lui ;
- ou bien il est simplement trop orgueilleux, trop de mauvaise foi pour reconnaître qu'il a tort et que nous avons raison ;
- ou bien encore est-il idiot ou fou ?
Que faire dans ces cas-là ?
Lui donner l'info, faire de la pub bien sûr !
Et c'est là que le prosélytisme apparaît, sous toutes ses formes :
- les plus sincères souhaitent le faire par l'exemple de leur propre vie, la mise en pratique rigoureuse des préceptes et la mise en lumière des effets bénéfiques qu'elle leur a procurés : donner donc envie à cet autre d'essayer la même voie qu’eux. Y ajouter bien sûr une bonne dose de prière pour demander à leur Dieu de lui envoyer cette grâce sans laquelle tous leurs efforts resteraient, malgré tout, vains ;
- d'autres, plus professionnels et souvent plus impliqués dans l'appareil hiérarchique et militant de la religion concernée (prêtre, missionnaire, imams, rabbins, etc.) prendront plutôt la voie de l'endoctrinement, dès le plus jeune âge parfois des futurs adeptes : dans l'intensité et dans la contrainte, cela va du simple catéchisme au lavage de cerveau radical des sectes (comme par exemple, la dianétique et la scientologie) ;
- d'autres enfin, les plus fanatiques, ceux qui s'intitulent eux-mêmes les « fous de Dieu » n'y vont pas par quatre chemins : c'est la suppression pure et simple de ceux qui ne croient pas, façon simple et radicale s'il en fût de réaliser le vieux rêve de la communauté planétaire unique et unie autour de son Dieu : inquisition, tous les types de croisades, médiévales ou modernes, les autodafés, l'élimination de tous les types de sorciers et sorcières, les multiples Saint-Barthélemy, les génocides, les terrorismes soient d'origine religieuse : « Mort à l'infidèle ! ».
Dans tous les cas, le prosélytisme fait partie intégrante des religions : la révélation crée « deux » : deux communautés, deux mondes, que seul le prosélytisme, doux ou violent, pourra refondre en une.
L’anecdote qui suit va pouvoir illustrer ce que je veux dire.
Adolphe était un collègue consultant et formateur : un homme en or, sympathique, généreux, rigoureux. Un catholique convaincu , pratiquant, impliqué dans des projets caritatifs. Diamétralement opposé à l'idée que nous nous faisons de ce pharisien, imbu de lui-même et de ses croyances, qui remercie Dieu de ne pas être « comme ce Publicain ». Un soir de séminaire d'équipe, nous parlions religion. Et je lui ai posé cette question : « Même toi, si respectueux des autres, si ouvert, en rien prétentieux, est-ce qu'au fond de toi, chrétien, il n'y a pas malgré tout le sentiment d'avoir quelque chose que les autres n'ont pas, que tu aurais et qu'ils n'auraient pas ? ». Adolphe a souri : il avait parfaitement compris le sens de ma question, et son intention. Il n'a pas répondu tout de suite :il a réfléchi, par rigueur et sincérité, et puis il m'a dit : « Si ». Oui, il avait parfaitement compris ce que signifiait cette réponse : car malgré l'énorme différence d'attitude et de comportement qu'il y a entre un Adolphe et un pharisien, ce sentiment d'être différent, ou « élu », ou « touché par la grâce de la foi », est fondamentalement le même. Et cette différence ne peut qu'être traitée de la manière dont je disais dans les pages précédentes : un prosélytisme, dû à la certitude que l'on a d'être dans la vérité, contrairement aux autres, et qui, de la tolérance de l'homme de bonne volonté aux abominations des fanatiques, n'est qu'une question de degré.