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Comment définir l"'islamo-gauchisme" ?
Écrit par Pierre-André Taguieff
J’ai forgé l’expression « islamo-gauchisme » au début des années 2000 pour désigner une alliance militante de fait entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche (que je qualifie de « gauchistes »), au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle grande cause révolutionnaire à vocation universelle.
C’est en observant, à partir de l’automne 2000 alors que débutait la seconde Intifada, un certain nombre de manifestations dites propalestiniennes où des activistes du Hamas, du Jihad islamique et du Hezbollah côtoyaient des militants gauchistes, notamment les trotskistes de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, devenue en 2009 le NPA) ou des anarchistes, que j’ai commencé à employer l’expression « islamo-gauchisme ».
Au cours de ces mobilisations, les « Allahou akbar » qui fusaient ne gênaient nullement les militants gauchistes présents, pas plus que les appels à la destruction d’Israël sur l’air de « sionistes = nazis » ou « sionisme = racisme ».
Le 7 octobre 2000, au cours d’une manifestation propalestinienne organisée à Paris, le cri « Mort aux Juifs » fut lancé, tandis qu’une femme voilée arborait une pancarte où on lisait, autour d’un dessin représentant une étoile de David et une croix gammée liées par un signe d’égalité : « Stop au terrorisme juif hitlérien ! 1 Palestinien mort = 1 000 inhumains (Juifs) morts ».
La dimension antijuive de ces manifestations était frappante, ainsi que l’importance prise par la nazification des « sionistes » et plus largement des Juifs, destinée à faire entendre ce message résumant l’inversion victimaire en cours : les Juifs-sionistes sont les nouveaux nazis, tandis que les Palestiniens sont les nouveaux Juifs.
L’instrumentalisation et le dévoiement de l’antiracisme consistaient alors à lui donner le visage de l’antisionisme, fondé sur l’image du Palestinien victime d’un « sionisme » fantasmé, celle d’un Palestinien non pas acteur mais victime absolument innocente d’un conflit dû à l’existence même de l’État d’Israël (« colonialiste », « impérialiste », « raciste »). Ces thèmes de la propagande palestinienne étaient intériorisés par toute l’extrême gauche et une partie de la gauche.
C’est donc l’analyse des particularités de la vague antijuive commencée en octobre 2000 qui m’a conduit à caractériser le premier moment de l’islamo-gauchisme contemporain : les convergences idéologiques et les alliances militantes entre islamistes et gauchistes dérivaient d’un commun antisionisme radical, c’est-à-dire de la forme contemporaine de la judéophobie.
L’extrême gauche n’était pas encore convertie à l’islamophilie inconditionnelle et la « lutte contre l’islamophobie » – slogan du fréro-salafisme – n’était pas encore le grand thème mobilisateur.
Par ailleurs, j’ai rapidement compris que ces convergences n’avaient pas surgi soudainement en 2000 et que la seconde Intifada n’avait fait que leur donner une visibilité plus grande. Le second moment de l’islamo-gauchisme, centré sur l’image du musulman victime du racisme, s’illustre précisément par les appels à « lutter contre l’islamophobie », qui se multiplient à partir du milieu des années 2000.
L’emprise islamo-communautariste, favorisée par le ralliement des mouvances d’extrême gauche à la « lutte contre l’islamophobie », s’est considérablement accrue.
Quel est le présupposé idéologique commun des islamistes et des gauchistes ? La thèse selon laquelle l’islamophobie constitue la principale forme de racisme et celle selon laquelle l’antiracisme dit « politique » est le combat des combats. Il s’ensuit que l’ennemi commun est caractérisable soit comme « raciste », soit comme « islamophobe ».
À l’extrême gauche, cet antiracisme islamisé tend à remplacer le vieil antifascisme communiste. On peut voir dans ces attitudes et ces comportements le résultat de la stratégie des Frères musulmans qui jouent sur la culpabilisation et le victimisme pour conquérir l’opinion occidentale. Bref, l’Occident « mécréant-islamophobe » (pour les islamistes) ou « capitaliste-raciste » (pour les gauchistes) est toujours le seul coupable.
Au moment où je l’ai forgée, en 2001-2002, l’expression « islamo-gauchisme » avait donc à mes yeux une valeur descriptive, en ce qu’elle désignait une alliance militante observable entre des milieux islamistes et des milieux d’extrême gauche, au nom de la cause palestinienne, érigée en nouvelle cause révolutionnaire supposée « universelle », comme certains marxistes, tel Étienne Balibar, le claironnaient.
C’est par la suite, notamment lorsque l’islamo-gauchisme est entré dans les universités et dans certains syndicats étudiants tandis que le mouvement des Indigènes de la République (lancé début 2005) lui conférait un visage, que je me suis efforcé de donner à l’expression un contenu conceptuel.
La menace islamo-communautariste avait été signalée en 2003-2004 par Michel Laurent, alors premier vice-président de la Conférence des présidents d’université (CPU) et président de l’université d’Aix-Marseille II, qui s’inquiétait de la poussée de « tendances communautaristes, le plus souvent à caractère religieux », et précisait que ce phénomène « constitue à la fois une réalité que certains d'entre nous vivent au quotidien, et, plus largement, un sujet de crispation politique et de revendication dans notre société ». Depuis, l’emprise islamo-communautariste, favorisée par le ralliement des mouvances d’extrême gauche à la « lutte contre l’islamophobie », arme idéologique principale des stratèges islamistes, s’est considérablement accrue.
Parallèlement, la CPU a perdu sa lucidité, comme en témoigne son communiqué stupéfiant publié le 16 février, « “Islamo-gauchisme” : stopper la confusion et les polémiques stériles », qui constitue un singulier mélange de corporatisme aveugle, de mauvaise foi dans le déni, d’ignorance volontaire et d’arrogance. Il met en œuvre la stratégie des yeux grands fermés, celle qui consiste à mettre la poussière sous le tapis.
Une fois de plus, on entend le « rien à signaler » des ronronneurs, le « circulez, il n’y a rien à voir » des partisans du statu quo, le « tout va bien » des grands féodaux pratiquant l’entre-soi. Et ce, sous les applaudissements des médias de gauche et d’extrême gauche, qu’ils soient, face à l’emprise islamo-gauchiste croissante, simplement complaisants ou activement complices.
Propos recueuillis par Hadrien Brachet (Marianne février 2021)
Mots clés : Universités, recherches sur le racisme , le genre, les discriminations internationales, comparatives, innovantes, inclusives, interconnectées. France Insoumise , Mélenchon, Islam antirépublicain. Islam antirépublicain. Immigration, Judéophobie, prolétariat, ouma.