Islamo-gauchisme et extrème gauche

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Dans le mot composé « islamo-gauchisme » – qui, je le souligne, n’est nullement un « concept venu de l’extrême droite », comme l’ânonnent les ignorants, les imbéciles et les gens de mauvaise foi –, le terme « gauchisme » renvoie indistinctement à tous les courants situés à l’extrême gauche ou à la « gauche de la gauche », bref, à la gauche qui se veut révolutionnaire et se distingue en cela de la gauche dite réformiste ou libérale, ou, si l’on préfère, de la social-démocratie.

En France, dans l’espace politique, le NPA et La France Insoumise, sur la base des déclarations de leurs dirigeants et de leur participation à des manifestations islamistes (telle celle du 10 novembre 2019), peuvent être considérés globalement comme des partis islamo-gauchistes – même s’il faut pointer des résistances internes (tel Adrien Quatennens au sein de LFI). Durant quelques années, le couple Plenel-Ramadan a incarné l’islamo-gauchisme.

Tels qu’ils sont aujourd’hui observables, les « islamo-gauchistes » sont des gauchistes qui s’avèrent islamophiles pour diverses raisons : l’islam serait à leurs yeux « la religion des pauvres » ou des « exclus » susceptibles de former un nouveau prolétariat, les musulmans seraient les victimes d’un « racisme d’État » ou d’une « islamophobie d’État », de « discriminations systémiques », l’islamisme serait porteur d’un « potentiel révolutionnaire » justifiant qu’on puisse passer des alliances avec certains activistes islamistes, etc. Dans ce dernier cas, les « islamo-gauchistes » doivent être qualifiés d’« islamismophiles ». Ils sont les compagnons de route des islamistes.

La fortune politique et médiatique d’un terme entraîne inévitablement une perte de sens de ce dernier. C’est un fait regrettable mais inévitable qu’en raison de son succès médiatique au cours de la dernière décennie, l’expression « islamo-gauchisme » a été mise à toutes les sauces. Mais c’est ce qui est arrivé tout autant à « populisme » ou à « complotisme », ou encore, auparavant, à « fascisme » et « racisme ». Faut-il éviter d’employer le mot « racisme » parce qu’il est un mot « plastique », dont la signification est floue et varie avec les situations d’emploi et les chercheurs ou les militants ?

Pour conserver une valeur conceptuelle et ne pas se réduire à des insultes ou des étiquettes polémiques servant simplement de modes de délégitimation, ces mots en « isme » devraient être définis précisément dans chaque situation d’emploi et en référence à des champs d’objets bien définis, ce qui n’est possible que dans des articles de revue ou dans des livres. Dans les échanges ordinaires, notamment sur les réseaux sociaux, ces termes ne peuvent avoir qu’une signification floue et servent avant tout d’armes symboliques pour disqualifier des adversaires politiques. C’est le cas du mot « islamophobie ».

Mais l’important est ailleurs. Les usages polémiques discutables de l’expression « islamo-gauchisme » ne doivent pas nous empêcher de reconnaître qu’elle désigne un véritable problème : comment expliquer et comprendre le dynamisme, depuis une trentaine d’années, des différentes formes prises par l’alliance ou la collusion entre des groupes d’extrême gauche se réclamant souvent du marxisme (ou plutôt d’un marxisme) ou du décolonialisme et des mouvances islamistes de diverses orientations (Frères musulmans, salafistes, jihadistes) ?

Pourquoi cette imprégnation islamiste des mobilisations « révolutionnaires », qui affecte particulièrement les jeunes issus de l’immigration ?

Peut-être faut-il supposer, outre une « préférence pour l’extrémisme » bien partagée, une certaine communauté de perception de la réalité sociale jugée intolérable et d’aspiration à un monde juste, pour ainsi dire purifié, sans discriminations – substitut de la « société sans classes » –, ainsi qu’une même propension à idéaliser le sacrifice de soi pour une grande cause, qui nourrit l’admiration pour l’héroïsme révolutionnaire projeté sur la mort en « martyr » du jihadiste.

C’est ce qui expliquerait le transfert des passions révolutionnaires du communisme au communautarisme, le sujet révolutionnaire passant du prolétariat à l’oumma.

La question de la dénomination reste bien sûr discutable. En 2002, dans La Nouvelle Judéophobie, j’employais aussi par exemple l’expression « islamo-tiers-mondisme ». La même année, je faisais référence à la « configuration islamo-progressiste ». L’année suivante, j’évoquais une « mouvance islamo-gauchiste » en cours de formation, qu’il fallait décrire et analyser, ce que j’ai fait en 2004 dans Prêcheurs de haine. Dans La Judéophobie des Modernes en 2008, je m’interrogeais encore : « Comment nommer cette nouvelle configuration idéologico-politique ? islamo-communisme, islamo-trotskisme, islamo-gauchisme ? voire islamo-altermondialisme ? »

Pour qu’elles se transforment en outils conceptuels, ces expressions concurrentes doivent être définies clairement. Je pense toujours que la moins mauvaise est « islamo-gauchisme ». Elle reste bien sûr discutable, et peut être source de mésinterprétations. Mais on ne peut éviter de nommer ce phénomène idéologico-politique qui a pris de l’ampleur et qu’il importe d’analyser avec rigueur. Telle est du moins ma position sur cette question épineuse.

propos recueillis par Hadrien Brachet (Marianne février 2021)

Mots clés : Universités, recherches sur le racisme , le genre, les discriminations  internationales, comparatives, innovantes, inclusives, interconnectées. France Insoumise , Mélenchon, Islam antirépublicain. Immigration,  Judéophobie, prolétariat, ouma.