Interprétations abusives de l'islamo-gauchisme

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La première interprétation abusive de l’islamo-gauchisme est d’ordre polémique, et se rencontre chez ceux qui veulent illégitimer la notion. Elle consiste à croire ou à faire semblant de croire que, dans le mot composé, le « segment « islamo- » signifie djihadisme ou terrorisme islamiste. 

 Il n’en est rien, du moins dans ma perspective, même s’il est vrai que des partisans ou des défenseurs du jihadisme peuvent se glisser dans les groupes militants qui, se réclamant d’une forme politique de l’islam (Frères musulmans ou salafistes), font alliance avec des mouvances ou des partis gauchistes, à travers des pétitions ou des manifestations, au nom de la cause palestinienne, de la « lutte contre l’islamophobie » ou du combat contre « l’impérialisme » ou le « néo-libéralisme ». 

La deuxième interprétation fallacieuse est avancée par ceux qui nient l’existence même du phénomène islamo-gauchiste, y voyant une fiction inventée par « l’extrême droite », entité diabolique qu’ils ne définissent jamais. Cette posture néo-négationniste ou « inexistentialiste » (expression ironique que j’emprunte à Marcel Gauchet) revient à vouloir garder les yeux grands fermés sur des convergences idéologiques, des séductions réciproques et des alliances politiques pourtant observables dans l’espace public. Comment peut-on, par exemple, nier l’existence de cette organisation islamo-gauchiste qu’est le Parti des Indigènes de la République et celle des réseaux décoloniaux internationaux dans lesquels il s’insère ?

 La troisième interprétation fallacieuse se rencontre dans le discours de ceux qui font mine de discerner des relents de « complotisme » dans l’expression « islamo-gauchisme », afin de la disqualifier. Des activistes ou des intellectuels pressés, certains stupides, incultes et de bonne foi, d’autres intelligents et de mauvaise foi, rapprochent l’expression descriptive « islamo-gauchisme » d’expressions complotistes classiques comme « judéo-maçonnisme » ou « judéo-bolchevisme ». Ayant consacré de nombreuses études historiques et critiques à ces récits complotistes, je suis bien placé pour dénoncer là un grossier amalgame polémique destiné à nier une réalité idéologico-politique gênante.

Prenons l’exemple du « judéo-bolchevisme ». Lorsqu’elle s’est diffusée, au début des années 1920, dans certains milieux anticommunistes et antisémites, l’expression « judéo-bolchevisme » signifiait que le bolchevisme était un phénomène juif et que les bolcheviks étaient en fait des Juifs (ou des « enjuivés »). C’est la thèse d’Alfred Rosenberg et de Dietrich Eckart dès 1919, reprise par Hitler à partir du printemps 1920.

Il n’en va pas de même avec l’expression « islamo-gauchisme », qui ne signifie pas que le gauchisme est un phénomène musulman ni que les gauchistes sont en fait des islamistes. L’expression ne fait qu’enregistrer un ensemble de phénomènes observables, qui autorisent à rapprocher gauchistes et islamistes : des alliances stratégiques, des convergences idéologiques, des ennemis communs, des visées révolutionnaires partagées, etc., et ce, sans postuler l’existence d’un complot, puisque les acteurs comme leurs comportements sont socialement visibles.

En outre, l’analogie historique trompeuse présuppose que les musulmans sont traités aujourd’hui comme l’ont été les Juifs dans les années 1930, en particulier en Allemagne. Thèse insoutenable, relevant de la plus grossière propagande victimaire.

La quatrième interprétation abusive de l’islamo-gauchisme, cette fois chez ceux qui l’utilisent comme une arme dans le combat intellectuel et politique, consiste à placer sous cette étiquette un ensemble flou de tendances idéologiques, de positions ou de projets politiques, dans lequel on trouve notamment le communautarisme, le multiculturalisme, l’identitarisme, le rejet de la laïcité, etc. C’est là trop charger la barque, au point de rendre la notion confuse et son usage contre-productif.  

On peut enfin, – et c’est la cinquième interprétation discutable mais intéressante – voir dans l’islamo-gauchisme l’une des formes prises par la « religion de l’Autre », par ce culte de l’altérité qui tient lieu de foi religieuse pour ceux qui n’en ont pas ou plus. On peut y voir l’une de ces nombreuses idées chrétiennes devenues folles. Cette religion de l’Autre est fondamentalement victimaire et, après s’être fixée sur l’immigré et le Palestinien, a érigé le Musulman en victime maximale. La préférence pour l’Autre est ainsi devenue la préférence pour le Musulman supposé victime de l’islamophobie « systémique ». C’est là une grande victoire idéologique et rhétorique remportée par les propagandistes islamistes. La xénophilie victimaire s’est transformée en islamophilie militante.

Cette vision anti-islamophobe du monde est d’autant plus séduisante pour l’extrême gauche qu’elle entre en synthèse avec l’immigrationnisme et le sans-frontiérisme, ces deux piliers de la gnose gauchiste contemporaine, qui postule que le monde comme il va est intrinsèquement mauvais et qu’il faut donc le détruire, en commençant par effacer les frontières et supprimer le contrôle de l’immigration. L’ethnocentrisme négatif, c’est-à-dire la haine et le mépris (ou le dégoût) de soi, trouve aujourd’hui sa traduction politique dans les mouvements s’inspirant du décolonialisme, de l’intersectionnalité et de la « théorie critique de la race ».