La faim, la dette ; la dette, la faim : les jumelles mortifères

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La faim, la dette ; la dette, la faim :

Les jumelles mortifères



L’abondance et la gratuité, voilà bien les ennemis et les cauchemars du capitalisme et des ses serviteurs empressés. À l’heure de la mondialisation, même la gratuité qu’autorise la Nature est insupportable aux cosmocrates (appellation signée Jean ZIEGLER, rapporteur spécial des Nation unies pour le droit à l’alimentation et polémiste redouté), ces acteurs attentifs de la mondialisation et de l’organisation planifiée de la rareté, seules garanties de profits si possible astronomiques et rapides. Ce que donne gratuitement la Nature est pour eux une concurrence démente, insupportablement déloyale. Ils ont trouvé la parade avec les brevets sur le vivant : plantes, animaux génétiquement modifiés, mais aussi sources d’eau font l’objet de dépôts de brevets. Même le séquençage du génome humain aiguise d’insatiables appétits.


Les cosmocrates – nous utiliserons ce terme dorénavant- instrumentalisent au moyen des institutions issues de BRETTEN WOOD, du FMI, de l’OMC etc. qu’ils contrôlent sans coup férir pour organiser la rareté des services publics voire leur disparition, celle des capitaux et des biens vitaux pour la survie des peuples du Tiers Monde détruisant ainsi chaque années la vie de millions d’hommes, femmes et enfants.


10.000.000 d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque années de sous-alimentation, d’épidémie, de pollution de l’eau et d’insalubrité. Les six pays les plus pauvres comptent 50% des décès et 42% des pays du Sud abritent 90% des victimes. Ça laisse rêveur mais il y a mieux ou pire, c’est selon. 122 pays du TM représentent 25% du commerce international pour 85% de la population mondiale. 1.2 Mds d’humains ont moins de 1$US par jour pour survivre quand 1% des plus riches gagnent autant que 57% des plus pauvres. Il faut ajouter que la dégringolade s’accélère c’est ainsi que la part des 42 pays les plus pauvres dans la consommation mondiale est passée de 1.70% en 1970 à 0.60% en 2004 !1


Mais sortons des chiffres et tentons de comprendre ce qui se cache derrière tout cela. D’abord il y a, on l’a dit, l’organisation de la pénurie (la rareté) à cause de l’incroyable égoïsme des cosmocrates dont la devise est : beaucoup de profits et vite ! Les critères humains ne comptent guère pour eux. Ils protègent et encouragent les coteries qui leur sont favorables ou qu’ils ont mis eux-mêmes en place afin de s’emparer efficacement de ce qui est rentable chez leur protégés : services, ressources naturelles, agriculture etc. Construisant pour eux ports, autoroutes, barrages et aéroports, les élites locales, ficelées par les exigences du FMI et de la Banque mondiale, se privent ainsi de toute possibilité d’investissements sociaux ou tout simplement de possibilité d’atteindre la liberté d’action. Arrogant, cynique et devenu hyperpuissant depuis les années 90, le capitalisme globalisé a atteint un palier inédit : celui de la croissance rapide et continue sans création d’emploi – en terme de solde brut -, sans promotion des travailleurs – y compris dans les pays du Nord où les législations du travail subissent des assauts constants et sans augmentation réelle du pouvoir d’achat des consommateurs –le passage à l’€ qui a renchéri la vie en est un bel exemple. Aux mains de ces cyniques féodalités capitalistes : la violence et la guerre sont inscrites dans leur culture comme puissants leviers de domination et sont devenues leur mode d’expression ordinaire, idéologique, militaire, économique et politique. Le 11-Septembre n’a fait qu’empirer les choses induisant, outre l’accélération de la violence et l’attaque frontale contre les droits de l’Homme et la démocratie, des dépenses astronomiques rendues stériles quand on considère qu’elles ont été prélevées, entre autre, sur des fons initialement consacrés à l’éradication de la misère, de la faim, de l’analphabétisme et autres handicaps structurels dans l’espoir justement de supprimer ainsi les causes et les sources du terrorisme. L’alpha et l’oméga, les sources et les conséquences de toute cette misère sont la dette et la faim, la faim et la dette.


Voyons la dette.


Deux catégories profitent de la dette et la rendent pérenne puisqu’elles en vivent. Il s’agit des créanciers étrangers et des élites et coteries autochtones. S’agissant des créanciers étrangers, les règles sont terribles : taux d’intérêts 5 à 7 fois plus élevés que ceux du marché et naturellement, doctrine libérale oblige, bradage des secteurs économiques viables suppression des dépenses sociales réputées stériles, forcément stériles puisqu’elles échappent à la loi de la concurrence. Ajoutons à cela des privilèges fiscaux comme l’échange des profits réalisés dans la monnaie locale en monnaies fortes prélevées sur les réserves du pays, appauvrissement scandaleux si l’on songe que ces fonds réinvestis sur place pourraient participer à un essor souhaitable. Passons sur les achats obligatoires d’armes à destination des milices et polices aux ordres.

S’agissant des élites autochtones, anciens collabos des ex colonialistes ou néo cadres formés en Europe et aux USA, ils pillent et oppriment, en général ! La fortune privée du défunt dictateur du ZAÏRE […] MOBUTU, s’élève à environ 8 Mds de $US. Ce butin est caché dans certaines banques occidentales. En 2004, la dette extérieure de la RDC s’élevait de son côté à 13 Mds de $US. 

Ainsi, le service de la dette plombe et paralyse toute velléité de sortie de crise d’un pays endetté. Où trouver en effet des financements pour les investissements sociaux ? Tenter un moratoire est-il possible ? Rien n’est moins sûr. Le péruvien ALAN GARCIA s’y risque naguère en décidant unilatéralement de n’honorer que 30% de la dette du Pérou. Que pensez vous qu’il arriva ? Le premier bateau péruvien accostant, sur ces entre-faits, à HAMBOURG fut saisi tandis que l’essentiel de la flotte aérienne péruvienne se vit mettre sous séquestre au fur et à mesure de ses atterrissages dans les pays créanciers. Le Pérou dû se soumettre !


Les Maîtres du Monde s’appuient sur une pseudo-théorie dite « des lois naturelles » qui gouverneraient le flux des capitaux pour proclamer l’impossibilité de remettre en cause le système si lucratif de l’endettement du TM. Et pourtant, les versements effectués par les 122 pays du TM au titre de la dette entre les mains des banques et de pays du NORD représentent moins de 1% du revenu national cumulé des pays créanciers. Il ne serait pas inutile ici de mettre en perspective ces chiffres avec ceux de la crise boursière de 2000/2002 qui détruisit en valeur 65% des avoirs boursiers, ce qui représente 70 fois la valeur de l’ensemble des titres de la dette extérieure des 122. Convenons que l’affaire n’a pas entraîné l’effondrement du système bancaire. On peut imaginer qu’une annulation de la dette, conduite avec intelligence et humanité ne détruirait assurément aucune économie occidentale même si l’on ne peut écarter le fait que cela provoquerait qqs désagréments passagers à qqs officines publiques ou privées, à qqs particuliers habitués à en vivre. Mais, comme l’écrivait MARAT dans l’Ami du Peuple : « que sont qqs individus ruinés auprès d’un Mds d’hommes dépouillés par les traitants, par les vampires, les dilapidateurs publics ?».


La faim


La faim accompagne inéluctablement la dette, elle en découle directement, elle n’en est pas un avatar « collatéral », elle n’est pas non plus le fruit de l’incompétence radicale supposée du pays en état de famine endémique qu’elle gangrène et tue lentement. Chez nous, un Jacques CHIRAC, si prompt à dénoncer le sort du TM, fait hélas l’impasse sur son attitude constante pour la défense de la PAC pourtant au nombre des facteurs prépondérants de la ruine des économies agricoles du TM. KAPUCINSKY, dans son livre Ebène, pointe cette évidence qu’un agriculteur bien formé est plus efficace que son homologue analphabète. Ajoutons que si de plus il dispose de semences de qualité à un prix raisonnable, c'est-à-dire ne relevant pas de brevets sur le vivant, il se pourrait que les conditions d’autosuffisance alimentaire s’améliorent assez vite pour le plus grand bien de tous. Ors la dette interdit cette avancée, on l’a vu.


Les peuples du Sud doivent donc à l’égoïsme et à la rapacité du Nord, aux mains de l’ordre cannibale des cosmocrates la faim endémique, la sous alimentation et la malnutrition facteur d’épidémies, de maladies, de dégénérescence, d’anémie et au final de mort. Le FAO a beau distinguer entre faim conjoncturelle et faim structurelle, toujours, au bout de l’analyse apparaissent la dette et son corollaire le sous développement qui anesthésie et persécute des peuples entiers.

Un exemple de faim conjoncturelle : en juillet 2004, la mousson, d’une extrême violence, provoque l’inondation de 70% du BANGLADESH et affame 3.000.000 de personnes. L’OMS évalue alors à 150.000 le nombre d’enfants de moins de 10 ans qui deviendront aveugles par manque de vitamines A. Il existe une étude sur les bassins du BRAHMAPOUTRE et du GANGE montrant que technologiquement ces inondations pourraient être maîtrisées si le BANGLADESH, pays du S-E asiatique parmi les plus endetté, pouvait investir dans cette parade urgentissime, mais la dette l’en empêche.

Maintenant un exemple de faim structurelle : la destruction de l’agriculture palestinienne, le détournement des nappes phréatiques, le blocus généralisé des villes et villages par l’armée d’occupation israélienne ont fait chuter de 42% le PIB palestinien depuis la 2ème intifada (09.2000) ; la conséquence en est encore et toujours l’augmentation de la dette, la faim et la malnutrition. Les premières victimes sont, comme toujours, les enfants et singulièrement les nourrissons chez lesquels on constate, nous dit l’UNRWA, des dommages cérébraux irréversibles. Manque de nutriments, de vitamines, d’oligoéléments, de tout quoi !

Ce triste constat laisse rêveur celui qui, sachant ce qui vient d’être exposé, entend les discours sur l’horizon indépassable du libéralisme devenu fou, sur les « lois économiques », la solidarité due au pauvres et l’Axe du Mal.


Je conclurai par une réponse de Henri LEFEBVRE faite à un journaliste de Radio France au sujet de l’utopie et des utopistes: «  … je revendique cette qualité…Ceux qui pensent arrêter leur regard sur l’horizon et se bornent à regarder ce qu’on voit, ceux qui revendiquent le pragmatisme et tentent de faire seulement avec ce qu’on a, n’ont aucune chance de changer le monde… Seuls ceux qui regardent vers ce que l’on ne voit pas, ceux qui regardent au-delà de l’horizon sont réalistes. […] L’utopie c’est ce qui est au-delà de l’horizon… Notre raison analytique sait avec précision ce que nous ne voulons pas, ce qu’il faut absolument changer… Mais ce qui doit venir, ce que nous voulons, le monde totalement autre, nouveau, seul notre regard intérieur, seule l’utopie en nous, nous le montrent. [ … ] « … La raison analytique est un carcan… L’utopie est le bélier. »2

1 Jean ZIEGLER : L’Empire de la Honte. Edit. FAYARD 2005

2 Radio France Culture rediffusée le vendredi 21 mai 2004