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« Laïcité et pensée libre »
Intervention de Roland Monnet
sur le thème
« Laïcité et pensée libre »
1) 1905 : le contexte.
2) 2006 : le nouvel environnement.
1) 1905 : le contexte.
La loi de séparation des églises et de l’Etat est l’aboutissement d’une longue maturation visant à séparer ce qui ressort de la sphère privée et de la sphère publique.
Dans l’ancien régime en effet, le roi de France est le « lieutenant de Dieu sur terre ». Sacré à Reims par l’archevêque du lieu, il détient en ses mains les pouvoirs temporels et spirituels. C’est la révolution de 1789 qui mettra fin à cet état de fait par une première loi de séparation de l’église et de l’Etat.
Tout au long du siècle suivant, ce ne sera que remises en causes successives de ces dispositions. Et c’est autour de l’école que surtout se noue l’opposition de fond entre deux volontés : celle du cléricalisme qui entend former les âmes en fonction de ses dogmes et vérités révélées et celle de la libre pensée qui entend « renvoyer l’église chez elle ».
Les années 1880 – 1905 voient en effet le rassemblement de deux catégories de libres penseurs : les spiritualistes religieux comme Edgar Quinet, Victor Hugo, Ferdinand Buisson et les matérialistes athées.
Tous ont en commun d’être farouchement républicains à une époque où le régime républicain, adopté par une voix de majorité en 1875 grâce à l’amendement Wallon, reste fragile face aux menées réactionnaires royalistes ou bonapartistes qu’appuient l’église catholique.
Sous Jules Ferry, l’école primaire deviendra laïque, gratuite et obligatoire. Mais c’est en 1901 que, portée par Emile Combe, une loi contre les congrégations religieuses enseignantes (pour antisociabilité) sera promulguée.
Elle entraînera l’exil d’environ 30000 congrégations et un paroxysme dans l’opposition religieuse entre les « deux France », dont l’une se considérera comme « émigrée de l’intérieur », alors que grondent les menaces de guerre avec l’Allemagne.
Voici donc la situation que trouve Aristide Briand en 1905 en tant que rapporteur de la commission ( présidée par Ferdinand Buisson) de la Chambre des Députés sur un projet de loi portant sur la séparation des églises et de l’Etat.
Les débats sont houleux. Certains invoquent « l’alliance du trône et de l’autel ». D’autres, comme Maurice Allard libre penseur athée, veulent « déchristianiser la France ». Ferdinand Buisson, président de la commission, pasteur protestant et libre penseur spiritualiste, veut que l’Etat ne reconnaisse pas l’Eglise catholique mais seulement des citoyens auxquels la République reconnaît le droit de s’associer. Sans oublier ceux qui voudraient en rester au concordat napoléonien, comme Waldeck Rousseau ou Emile Combe, puisque celui-ci « ne permet pas à l’église de nommer les curés, ni d’avoir une autonomie, ni de tenir des conciles en France ».
C’est en définitive Jean Jaurès qui incitera Aristide Briand à imposer à la Chambre des Députés une norme qui formera le socle de la loi de 1905 : le fameux article 4 de la loi de séparation mettant les édifices cultuels à la disposition des associations qui « se conforment aux règles d’organisation du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice ».
En clair, une église doit être attribuée aux catholiques qui sont en communion avec l’évêque du lieu et avec le pape, même si la majorité de la paroisse et son curé revendiquent leur autonomie pour promouvoir un catholicisme républicain.
Du coup la majorité des évêques, malgré le refus du pape d’entériner la rupture unilatérale du concordat, devient-elle favorable à une loi qui, comme le dit l’académicien catholique Brunetière, « n’empêche pas de croire ce que nous voulons ni de pratiquer ce que nous croyons ».
En fait, la loi de 1905 revêt une énorme et capitale portée politique :
° Elle fonde la République laïque, une et indivisible, en rassemblant les deux France religieusement antagonistes en une même citoyenneté nationale sur une seule et même définition des rapports Etat-églises : « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions de l’intérêt de l’ordre public » (art 1)...
... « Elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (art 2).
° Elle la fonde d’autant plus solidement qu’elle interdira dorénavant toute émergence d’une identité nationale catholique. On en aura la preuve dans les années 1926-1927 où le pape mettra à l’index la national catholicisme de Charles Maurras qui voulait instrumentaliser l’église contre la République , la gueuse, ainsi qu’il la baptisait avec ses amis de l’Action Française.
Ce sont d’ailleurs les mêmes qui formèrent le noyau dur des ligues factieuses en sédition ouverte contre la République en février 1934, se réjouirent de la défaite de la France en 1940 « divine surprise » et donnèrent à Pétain et son régime vichyste tout le corpsus idéologique qui, supprimant la République, fit de la France un Etat corporatiste, basé sur des valeurs de « Famille,Travail, Patrie » à dominantes religieuses.
En conclusion de cette première partie, il convient de dire que les conditions d’abaissement de l’idée de république laïque sont loin d’être anecdotiques. L’esprit pétainiste a repris force et vigueur ces dernières années. Il s’inscrit dans le nouvel environnement que nous connaissons. Cent ans après la loi de 1905. Cent ans après la fondation de la République laïque par la loi.
Ce sera le second point de ma communication de ce soir.
2) 2OO6 : le nouvel environnement.
Le révisionnisme anti-républicain d’aujourd’hui ne « gueule » plus à tout va, comme avant guerre, « ... Il faut abattre la gueuse » ! Il préfère s’inscrire dans une démarche hypocrite, rampante, lénifiante, doucereuse. Ainsi, susurre-t-il à tous propos, « Vous voyez bien que le modèle républicain ne marche pas... qu’il faut le réformer... qu’il faut aménager la loi de 1905... ».
Rappelons-nous bien cependant que le socle du pacte républicain repose sur deux principes : 1) « La volonté commune procède du peuple » et 2) « Tous les citoyens sont égaux devant la loi ».
Ces principes font, et ce n’est pas un détail, que la volonté collective, celle du peuple souverain, contraint l’individu à être libre. C’est-à-dire en capacité perpétuelle d’exercer son droit à la liberté de conscience et de pensée à l’inverse de ce qu’implique le différencialisme communautariste qui revendique en effet des droits à la différence qui seraient spécifiques de chacun des segments ethniques et religieux de la communauté nationale.
Alors 1ère question ? Pour en combattre les effets pervers, doit-on pour autant ériger la « discrimination positive » en panacée universelle ?
Cette approche est parfaitement antirationaliste dans la mesure où elle vise à insérer le point de vue « moral » au cœur du « politique » en tant que conception de « l’équité », et non de l’égalité, comme fondement de la justice.
Du coup, 2ème question ? Se dirige-t-on vers de nouveaux rapports citoyens où le triptyque « Morale, Equité, Justice », en écho au « Travail, Famille, Patrie » pétainiste, aurait expulser le « Liberté, Egalité, Fraternité » révolutionnaire de 1789 du champ de notre vivre ensemble laïque et républicain ? On peut le craindre !
En effet Monsieur Sarkozy, ministre d’Etat et de l’Intérieur ainsi que ministre des cultes et candidat à l’élection présidentielle de 2007, ne jure que par l’abandon de l’égalité républicaine en droits au profit de la discrimination positive. Ce qui conduit directement à la politique des quotas ethniques et religieux.
Pour quels résultats ? Tout simplement l’abolition de la notion d’intérêt général au bénéfice de droits particuliers accordés à des individus ou des groupes d’individus en fonction de critères raciaux, ethniques ou confessionnels.
A quel titre ? Au nom de la morale, l’équité et la justice dont les définitions échapperaient à la Raison que portaient les Lumières et qui fondent notre citoyenneté républicaine.
Avec quels acteurs ? Bien évidemment, et au premier plan, les différents cléricalismes religieux. Ceux-ci revendiquent en effet, pour leur chapelle particulière, le pouvoir de faire valoir leurs visions subjectives du Juste, du Beau et du Vrai dans la gouvernance de la cité. En fonction de vérités révélées parfaitement antagonistes entre elles, génératrices de terribles violences tout au long de l’histoire et encore de nos jours.
Des preuves ?
° Courant avril, à 10 jours des élections législatives italiennes, le pape Benoît XVI accorde une audience aux dirigeants du Parti Populaire Européen (dont Nicolas Sarkozy) et dénonce le « laïcisme », cette « culture qui relègue la manifestation de la conviction religieuse à la sphère du privé et du subjectif » .
Ainsi encore et toujours place-t-il ses propos dans le droit fil du concept de « racines chrétiennes de l’Europe » qui, s’il devenait force de loi, interdirait à coup sûr l’interruption volontaire de grossesse, la pensée libre, le droit de critiquer les religions et d’irrévérence à l’égard des dogmes et de ceux dont c’est le fond de commerce.
° Lors des révoltes banlieusardes de novembre 2005, l’Union des Organisations Islamiques de France lance « une fatwa concernant les troubles qui touchent la France ».
Il ne s ‘agissait rien moins que de s’affranchir du carcan de l’un des fondements constitutionnels de la République, son indivisibilité, en la proclamant « différentialiste » par l’intermédiaire d’une directive ayant force de loi pour un segment de la collectivité nationale.
° Et, dans le même temps, le Grand Rabbin qui souhaitait l’installation, je cite « d’un tribunal rabbinique chargé de trancher les conflits juridiques entre juifs » faisant ainsi litière de l’égalité de droits entre tous les citoyens devant la loi ainsi que des tribunaux de la République chargés de la dire au nom du peuple français.
Dans ces conditions, comment ne pas s’inquiéter des orientations de Monsieur Sarkozy ( grand ami de l’église de scientologie qu’il considère comme une religion) lorsqu’il dit « Préférer l’espérance religieuse à l’espérance sociale » ? et que pour ce faire il entend réviser la loi de 1905 ?
Alors que certains de ses proches, tels Messieurs Raoult et Rombaux, proposent en tant que députés du peuple français, de rétablir le délit de blasphème à la demande d’organisations musulmanes qui refusent le droit à l’irrévérence et à la caricature ?
Il convient tout de même de préciser que loin d’être des adversaires acharnés de la laïcité, 73 % des musulmans de France y sont largement favorables, 91% pour l’égalité entre femmes et hommes et 69% en faveur du mariage d’une fille musulmane avec un non-musulman.
Dans le même temps, l’interdiction des signes distinctifs religieux ostentatoires à l’école publique est entrée tout tranquillement dans la norme en France. Alors que devant l’échec absolu de leurs modèles multiculturalistes d’intégration, britanniques et hollandais, en sont à s’interroger sur une mesure d’interdiction absolue de la burka dans les lieux publics...
Il est clair que le révisionnisme franco-français cherche des points d’appuis plus globaux au travers de l’idée d’union européenne sur l’autel de laquelle il conviendrait de sacrifier le modèle de vivre ensemble qu’est notre laïcité républicaine de séparation des églises et de l’Etat, inconnu ailleurs paraît-il, ce qui est absolument faux.
Mais, puisque d’aucuns cherchent, dans l’histoire identitaire de l’Europe, matière à liquider la laïcité républicaine, prenons les aux mots et opposons-leur cette réflexion d’Edgar Morin :
« L’Europe ne peut être réduite au christianisme. C’est surtout la libre pensée qui la définit.
L’Union Européenne ne peut être que démocratique, c’est-à-dire qu’en rapport avec l’héritage grec.
L’humanisme européen n’a pas seulement une source biblique ou biblico-chrétienne, c’est-à-dire l’idée d’un dieu qui fait l’homme à son image. Elle a aussi une source grecque profonde selon laquelle ce sont les citoyens qui décident du sort de la cité, ce qui par définition est une rupture avec l’idée religieuse.
Athéna protège la ville mais n’intervient pas dans le gouvernement. La pensée humaine et la raison humaine n’ont pas besoin du secours de Dieu et de la théologie : elles peuvent critiquer la religion.
Le christianisme, originaire du Moyen Orient et non de l’Europe, est largement postérieur à l’apport grec remis en lumière lors de la Renaissance.
De plus, au Moyen Age, l’apport arabe en Europe fut important dans le domaine des connaissances mathématiques, scientifiques et philosophiques. Quant à l’apport juif et, notamment celui des marranes comme Montaigne et Spinoza, il eut entre autres le mérite d ‘introduire le scepticisme ».
Fin de citation
En conclusion, notre ardente obligation citoyenne d’aujourd’hui est de promouvoir nos principes laïques et républicains. Partout. Seuls sont-ils en mesure d’assurer l’harmonieux vivre ensemble qu’exige la condition humaine et que garantie la neutralité spirituelle des Etats.
Comment ?
En déclarant :
1) La Laïcité, bien commun de l’humanité.
2) La Raison des Lumières, un héritage pour demain.
3) La pensée libre, socle identitaire d’une union européenne humaniste.