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Intervention de Gilbert Klein sur "La laïcité, rempart contre contre le sectarisme"
Écrit par Gilbert Klein
Colloque du 9.12.06 à Bourg-en-Bresse
« La laïcité, rempart contre le sectarisme
(Intervention de Gilbert Klein)
Avant de traiter le sujet « La laïcité, rempart contre les sectes? », il convient de définir les termes.
1) Le terme de secte est le plus difficile à définir. D'ailleurs en droit il n'en existe nulle définition. Alors retenons trois critères.
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Le premier d'entre eux, c'est la secte comme institution qui viole les droits de l'Homme et de l'enfant dans sa pratique quotidienne. Un critère insuffisant car les multinationales, les groupes anti-avortement répondraient à cette définition. Alors rajoutons une deuxième notion, celle du consentement des victimes elles-mêmes aux violations de leurs droits. Prenons un exemple, celui d'un groupe dont la vocation affichée n'était pas religieuse, mais thérapeutique, LE PATRIARCHE. Voici ce qu'en dit de façon très nuancée, un thérapeute qui en a bien connu le dirigeant.
“Auparavant installateur sanitaire, Lucien Engelmajer, était originaire de Metz. Il a aidé beaucoup les jeunes, il a créé un lieu alternatif, l’un des premiers, un lieu de thérapie sans thérapeutes, qui a fonctionné jusqu’en 1977 grâce à des familles d’accueil d’où l’on revenait. Puis, il s’est transformé en gourou. Il savait ce que l’autre voulait et jouait de la dépendance envers lui. Conséquence, tous les faits et gestes des patients étaient dirigés (...) Mais, ce qui reste positif, c’est une période de sevrage en dehors du milieu hospitalier, avec bains, une présence constante, de la musique, des tisanes, et l’absence de médication”.
Voici comment le décrit le Dr CURTET in la drogue est un prétexte.« Chez le Patriarche, l'essentiel de la prise en charge se résume en deux mots, travail thérapeutique. Levé tôt, couché tard, le toxicomane passe sa journée à rénover les demeures et châteaux de l'association, quand il ne va pas vendre des journaux ou vendre dans la rue, et tout cela au seul et unique profit de l'association ».
Et maintenant, comment les personnes qui on séjourné dans les centres du Patriarche le perçoivent-ils? Voici les impressions de pensionnaires, reprises dans une étude du CNRS sur les sortis de la toxicomanie, étude d'ailleurs favorable à cette institution.
« Après un petit constat à l'extérieur je suis revenu ici. On m'avait proposé de participer à la restauration du château et ça, ça m'éclatait!C'était une faveur, quoi. Mais ce qui m'attirait, c'était de retrouver les amis que je m'étais fait pendant tous ces mois. C'était comme un point de repère qui me stimulait pour revenir. Et c'était dans une toute autre démarche. La première fois c'était mon ultime salut et mon retour, c'était pour me retrouver, moi. Dans tous les centres, il y a tout un travail de restauration. A la Canière, au centre A Falot, en Espagne aussi, c'est fou ce qu'on a réussi à faire dans les châteaux.:leur redonner une décoration, une esthétique qui est tellement hétéroclite que ça en devient un style. Et puis depuis six mois, je fais du piano. Le château, la musique, c'est peut-être de la drogue quelque part? »
Autre témoignage: « Lucien n'aimait pas lâcher comme ça ses ouailles, c'était pour lui une grande famille et fondamentalement, il était convaincu qu'on était ses enfants et que si on allait faire quelque chose ailleurs c'était le renier. Moi j'étais à la limite mais n'ai quand même eu droit à l'entrevue ce qui est une façon de mettre mal à l'aise mais en même temps ça flatte. Finalement te retenir c'est un signe d'affection. De toutes façons je savais que je n'y resterais pas. Je savais qu'il me fallait un an et demi pour m'en sortir et je suis restée encore d'autant en me disant:c'est normal, on a donné, je dois donner. »
Mais définir la secte comme un organisme qui viole les droits de l'Homme avec le consentement de ses victimes est insuffisant. Nombreuses seraient les entreprises qui répondraient à cette définition. Voir à ce sujet « Au carrefour de l'exploitation » de G.Philonenko où se trouve décrit l'itinéraire d'un cadre qui consacre ses nuits des dimanches et sacrifie sa vie familiale à son employeur. Dernier critère à retenir, la secte ne connaît pas de lien de subordination juridique en son sein, contrairement à l'entreprise au sein de laquelle un contrat fixe les obligations du travailleur en contrepartie du salaire.
2) Second terme à définir, la laïcité. Reprenons la loi de 1905 qui commence ainsi: « la République assure la liberté de conscience ». Deux interprétations sont possibles. Soit elle s'abstient de toute entrave à cette liberté, elle a donc seul le devoir de ne pas faire, en droit des obligations négatives. Soit elle doit s'assurer que sur son territoire, nul ne commet des actions susceptibles d'entraver la liberté d'autrui. Elle s'assure ainsi du respect de la liberté entre des personnes individuelles ou entre des personnes morales et des individus. Par exemple elle s'assure que nul employeur ne s'oppose à l'exercice , par ses salariés, de ses droits. La République dont faire face à des obligations de faire ou obligations positives.
Lisons l'article 31 de la même loi. La liberté des cultes, prévue à l'article 2, subit des limitations dans l'intérêt de l'ordre public et le titre de la loi concernant la police des cultes apporte des précisions. Voici donc cet article 31:
Sont punis d'une amende de seize francs à deux cents francs et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte.
La lecture des travaux préparatoires à l'adoption de cet article n'évoque nullement des sectes, mais des pressions que des employeurs seraient tentés d'exercer sur leurs salariés. IL faut dire qu'à cette époque on ne parlait nullement de sectes au sens où nous l'entendons maintenant!
En revanche, cet article, lu de nos jours, s'applique parfaitement au sectarisme. Au sein de la secte, on promet d'être l'élite, on promet la solution des problèmes de mal être, dans certaines sectes guérisseuses, notamment évangéliques, on promet des guérisons miraculeuses (ne tombons pas dans l'amalgame, les groupes évangéliques ne pratiquent pas tous, loin de là, les assurances de guérir du cancer et des maladies les plus graves!). Ces pratiques sectaires répondent bien aux dispositions de l'article 31 de la loi de 1905: ne pas rejoindre ou quitter la secte, c'est bien s'exposer à des maux, la maladies, la toxicomanie, le malheur, etc..
3) Franchissons maintenant un pas de quarante-cinq ans et nous nous trouvons en 1950. Deux ans auparavant la Déclaration universelle des droits de l'Homme a été signée à Paris, et elle prévoit les libertés de conscience, de réunion, d'association, et le respect de la vie privée. Elle vaut déclaration de principes mais n'implique aucune obligation autre que morale à l'encontre des Etats. Des traités, eux, contraignants, devront la compléter. Mais ces traités , les pactes, mettront une trentaine d'années à venir.
Pour y pallier, les Etats européens, membres du Conseil de l'Europe, signeront la Convention européenne des droits de l'Homme. Quelques articles, qui reprennent quasiment mot à mot la Déclaration de 1948, sont consacrés aux droits. Le gros du traité est consacré à la procédure. Il ne s'agit pas de créer un espace au travers duquel les droits sont uniformisés, mais, dans le respect des traditions nationales, de définir quelques principes simples et fondamentaux dans lesquels tous peuvent se reconnaître.
Pas question de laïcité dans le traité ni de droit uniforme d'accès à la fonction publique. En revanche, à la lumière des traditions de chaque état, une Cour européenne des droits de l'Homme après épuisement des recours internes, jugera des atteintes à la liberté de conscience, de réunion, et des atteintes au respect de la vie privée.
Toute violation d'un droit énoncé peut donc être porté devant la Cour européenne si toutes les procédures nationales sont épuisées. Un arrêt fort intéressant concerne les Pays-Bas. IL s'agissait d'une handicapée qui avait fait l'objet d'abus sexuels dans l'institution qui l'accueillait. L'auteur n'avait pas été sanctionné pénalement par l'Etat défendeur qui n'était pas directement à l'origine de la violation des droits. La Cour a retenu cette affaire sous l'angle de la violation du droit au respect de la vie privée et non du traitement inhumain et dégradant. Voici ce qu'elle révèle: “La Cour rappelle que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences ; à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. (...) Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations d’individus entre eux”.
Cet arrêt ne concerne pas directement les sectes encore que les abus sexuels ont existé dans certaines d'entre elles. Mais la secte n'est-elle pas le lieu par excellence où le droit à la vie privée est sans cesse violé par des « gourous » dont la caractéristique majeure est de s'immiscer dans la vie la plus intime de leurs disciples?
Donnons une illustration précise, toujours avec LE PATRIARCHE. Voici deux extraits d'un mémoire universitaire produit par Anne Jacob à l'Université de Liège: n'illustrent-t-ils pas à quel point la secte est un lieu de dépossession extrême de toute vie privée et n'apparaît-il pas qu'il conviendrait que la Cour européenne des droits de l'Homme et les juridictions nationales, dans leurs arrêts, les considèrent ainsi et non comme des dissidences religieuses?
"toute formation de couple ou relation sexuelle est interdite durant les quarante premiers jours de présence.(...) Toute visite est interdite pendant le premier mois de présence(...). Tout contact télépnonique est interdit pendant le premier mois de présence entre le pensionnaire et sa famille (...). Le courrier et les colis sont systématiquement ouverts pour la fouille".
Et l'auteure précise, commentant l'application qui en est faite: "il existe une censure sur ce courrier, aussi bien sur les lettres en partance que sur celles qui arrivent. Les lettres où les pensionnaires critiquent l'association ou font une demande de sortie à leurs parents ne sont pas envoyées. Ceci, bien sûr, ne figure pas dans le règlement".
Deuxième extrait" Un individu est pris à partie devant le groupe par un ancien. Il devient la cible de cent vingt personnes et subit une pression considérable. Différents reproches lui sont faits (...) , le ton est toujours culpabilisant. L'individu-cible plus fort que les autres et osant résister à la pression , en défiant du regard ou en parole, est alors véritablemnet humilié. Les anciens se relaient à tour de rôle pour le harceler. Le ton monte, allant parfois jusqu'aux injures. (...) Après de longues minutes de ce qui ressemble souvent à de l'acharnement, celui qui a été remis en question n'a plus d'autre recours que de courber la tête, de s'humilier lui-même en donnant raison à ses interlocuteurs".
Dans le domaine de la religion et des cultes, la loi de 1905 étai d'un modernisme étonnant en ce qu'elle énonçait à l'encontre des Etats des obligations positives que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme reconnaîtra à un demi-siècle plus tard pour protéger l'ensemble des droits reconnus par les Etats membres du Conseil de l'Europe.
N'y touchons pas!!!Gilbert KLEIN
CERCLE LAÏQUE POUR LA PREVENTION DU SECTARISME
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