Querelles de chapelles ? République ! Laïcité !

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Nous sommes depuis toujours attachés aux principes laïques et républicains de Liberté, d’Egalité et de Fraternité. Nous sommes atterrés devant leur remise en cause par les gouvernements successifs depuis des décennies.

Les événements récents ont encore amplifié les dérapages. Partant d’affaires plus ou moins sordides de harcèlements sexuels visant Tarik Ramadan, nous sommes quasiment sommés de choisir entre Manuel Valls et Edwy Plenel. Répondons avant toute autre considération : ni l’un ni l’autre. Aucun débat sain ne peut, en effet, avoir lieu sur des bases caricaturales, ces deux personnages étant habités par des ambitions messianiques, au premier rang desquelles incarner la laïcité.

 

Chacun a ses soutiens. Plusieurs associations interviennent aux côtés de Valls et des penseurs, tel Jean Baubérot, défendent les actions de Plenel. 

L’événement déclencheur de cette affaire, à savoir la découverte de la nature de Tartuffe de Tarik Ramadan ne résout en rien la question et lui opposer d’autres Tartuffes ne fait qu’empêcher le vrai débat. Manuel Valls, contempteur du Parlement et Tour opérateur des canonisations ne peut en aucun cas être porte-parole de la République et de la laïcité. 

Le débat sur la place des religions dans la France républicaine est ancien et concerne toutes les confessions. Il est aujourd’hui réactivé par l’Islam, religion à propos de laquelle se multiplient les polémiques : existence ou non d’un nombre suffisant de lieux de culte, demandes de dérogations aux règles générales pour raisons confessionnelles, contours de la liberté d’expression, en particulier du droit de blasphémer.

 Sur la laïcité comme sur l’ensemble des valeurs républicaines, il existe deux attitudes possibles :
-         - Mettre en cause les principes eux-mêmes (inadaptation aux réalités d’aujourd’hui ou aux nécessités de l’expression des cultures et des religions, etc.)
-        -  Déplorer l’absence des valeurs républicaines (oubliées ou violées).

C’est cette opposition dont il faut parler pour préciser le tracé de la ligne de fracture, parce qu’elle est réelle et que cela a des conséquences sur nos vies quotidiennes.

Comment résoudre les problèmes si on ne comprend pas comment ils se posent ? C’est pourquoi ceux qui se donnent bonne conscience en se contentant d'appeler à un cessez le feu ou qui déplorent le caractère excessif des échanges repoussent encore la nécessaire clarification. En démocratie, le débats sont indispensables et notre société a désappris à discuter et à débattre ou même à réfléchir. Elle se contente de réagir et de ressentir, renonçant ainsi à ce qui fait la dignité humaine et la grandeur d’une civilisation. Nos sociétés sont en train de mourir de l’absence de débat et régressent dans une sorte de tribalisme identitaire. C’est au retour de l’esprit critique et à un débat mature sur la République qu’il faut appeler. Sans se reconnaître dans aucun des champions qu’on veut leur imposer, les auteurs de ces lignes se situent clairement dans le camp de ceux qui analysent la crise actuelle comme une absence de République. Le débat sainement établi devrait permettre d’y voir plus clair et en tirer les conséquences intellectuelles et politiques pour résoudre les problèmes concrets.

La laïcité est un principe qui s’est construit tout au long de notre Histoire. Elle n’est absolument pas un acte conjoncturel des années 1900 comme l’affirment ceux qui veulent « l’adapter », en particulier Baubérot qui se pose en maître d’école de la laïcité. La question est sous-jacente au travers d’affrontements schismatiques fort anciens. Elle commence à s’exprimer dans les drames des guerres de religion : bien avant Victor Hugo et son « L'Eglise chez elle et l'Etat chez lui » de 1850, le juriste Pierre de Belloy affirme dès 1585 que « La République n'est pas dans l'Eglise, mais au contraire l'Eglise est dans la République » [i]. Elle trouve un début d’expression politique dans les débats de la Révolution. Des tentatives y existent, en effet déjà, soit locales (Nièvre), soit plus générales sous la Convention thermidorienne. Elle est liée à une conception profonde de la liberté de pensée qui est pour nous un combat permanent. Elle n’est pas, contrairement à ce que racontent ceux qui la haïssent, une atteinte à la liberté religieuse. Elle est la séparation des églises et de l’Etat et met l'école publique hors d'atteinte des dogmes religieux.

Elle n’a pas à s’adapter à telle ou telle religion, sauf à remettre en cause son essence même. De ce point de vue, les tentatives pour mettre à part une religion ne sont qu’un artifice pour cette remise en cause. Des analystes, tel Baubérot, développent un amphigourisme systématique qui leur permet d’attaquer les principes laïques au nom de choses qui n’ont rien à y voir. Nous voudrions, en particulier, réfuter avec vigueur cet argument usé jusqu’à la corde à savoir que les principes de la République et de la laïcité sont utilisés essentiellement contre les couches défavorisées, particulièrement dans les banlieues et ne concernent pas les riches. Que les riches aient des avantages n’est certes pas une découverte. En quoi cela met-il en question la laïcité ? Et tenter d’imposer l’équation musulman égale pauvre, ou, par prétérition, laïque égale aisé, ne peut aboutir qu’à créer encore plus l’affrontement, en tout cas à détourner la lutte sociale vers le conflit religieux. Bien au contraire, la laïcité a été une conquête sociale.

Loin de clarifier le débat, les récents événements permettent à trop d’intervenants de se poser en partisans d’un camp en déformant, volontairement ou pas, les enjeux. Les porte-paroles autodésignés des camps en présence feraient bien de mesurer les risques qu’ils font courir, parfois même à ceux qu’ils prétendent défendre.

Ce n’est pas en créant des règles séparées entre les catégories sociales qu’on mène le combat social, c’est en se battant pour que les règles générales s’imposent réellement à tous. La République et la laïcité sont menacés depuis trop longtemps par ceux qui s’en disent défenseurs et ne font que les habiller en fonction de leurs propres thèses.

Ce n'est ni les principes qui étayent la République, ni ceux de la laïcité qu'il faut contester, mais la manière dont certains les dévoient au profit de leurs intérêts ou ceux d’une communauté. Cela renforce la nécessité de revoir les mécanismes de nos institutions et non les valeurs portées par elles, quitte à les renforcer en les complétant au regard de l'évolution du contexte contemporain.

D'où l'ambition d’élire une Constituante.

 

[i]Cité par Emile Poulat dans « Notre laïcité ou les religions dans l'espace public ». Editions Desclée de Brouver 2014. La République est évidemment à prendre au sens de la chose publique.