Aristide Briand et Gustav Stresemann Hommes d’Etat et humanistes

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Aristide Briand, né le 28 mars 1862 à Nantes, reste l’un des plus grands hommes politiques français : vingt-trois fois ministre, onze fois président du Conseil ; mondialement connu du fait de ses brillantes interventions à la tribune de la toute jeune Société des Nations à Genève.

Décédé le 7 mars 1932, ses obsèques donnèrent lieu à une formidable manifestation du peuple de Paris. Tout au long du parcours du cortège funèbre, la foule, massée sur les trottoirs, psalmodiait le même leitmotiv « La Paix, la Paix, la Paix… » tant la disparition de ce « pèlerin de la paix » donnait à craindre de sombres lendemains.

Avocat, il quitte Nantes en 1883 et vient à Paris. Secrétaire général du journal La Lanterne, il se lie alors avec Jean Jaurès et fonde avec lui le Parti Socialiste Français. En 1902, il est élu député de Saint-Etienne, et le restera jusqu’en 1919. Ensuite et jusqu’à sa mort, il sera député de la Loire-Inférieure.

Ses facultés d’éloquence, de souplesse d’esprit et d’intelligence étaient exceptionnelles. Il apporta dans la vie politique de son époque, avant la Pre-mière Guerre Mondiale, un air neuf, fait d’une certaine modestie, de gentillesse parfois moqueuse, habile à discerner les manœuvres de ses adversaires et à les déjouer, se mon¬trant capable quand il le fallait d’une très grande fermeté.

Son nom reste attaché à la loi de « Séparation de l’église et de l’Etat » du 9 décembre 1905 dont il fut l’avisé et fin négociateur dans un contexte civil d’affrontements religieux entre les « Deux France » : celle de la primauté de l’influence de l’église  catholique dans les affaires publiques et privées contre celle de la pensée libre, républicaine et laïque, des Lumières.

En fait, double vainqueur : le concept de liberté de conscience et l’unité nationale à un moment où la tension avec l’Allemagne atteint un paroxysme.
Après la guerre 14-18, il conduit, avec constance et succès, la poli¬tique étrangère de la France. Déjà très conciliant l’égard de l’Allemagne en 1922 sur le problème des réparations de guerre, il sera, avec Gustav Stresemann (chancelier, puis ministre des Affaires Etrangères) l'artisan des accords de Locarno bâtis sur le rapprochement franco-allemand et conventions d'arbitrage  entre  les anciens adversaires.

1925, traité de Locarno. Briand :
« Nous avons parlé européen. C’est une langue nouvelle qu’il faudra bien qu’on apprenne ».


1926, l’action constante d'Aristide Briand et de Gustav Stresemann en faveur de la paix est reconnue. Ils reçoivent tous deux le Prix Nobel de la Paix.

 

Le 10 septembre 1926, la  8e conférence de la Société des Nations enregistre le retour de l’Allemagne dans le concert des Nations. Briand et Stresemann y prononcent d’enthousiasmants discours à la gloire de la paix par l’arbitrage et l’entente internationale.

Leur commune détermination s’appuie sur une commune valeur morale, celle, kantienne, de  « Devoir  de l’Homme envers l’Humanité »  pour mettre politiquement  en œuvre  la « Paix par le droit et non la Paix par la force ».

Puis, ce seront les historiques Entretiens de Thoiry du 17 septembre 1926.

En août 1928, signature, à Paris, du « pacte Briand-Kellogg » par cinquante-sept pays, mettant « la guerre hors la loi » ! En 1929, Briand lance, à Genève, l’idée d'une union européenne fédérale, au moment où la mort lui enlève son ami et précieux allié, Gustav Stresemann.

Une partie de l'opinion française le taxe de « pacifiste bêlant » méconnaissant les intérêts de la France au profit de l’Allemagne. Pour l’extrême droite de Charles Maurras et de Léon Daudet, c’est le « Prince des nuées ». 

Pourtant, avant et pendant la Grande Guerre, il fut un bien peu pacifiste ministre et président du Conseil, élaborant en 1913 la « loi des trois ans », imaginant en 1915 l'expédition de Salonique afin de prendre les empires centraux à revers et menant une diplomatie au service de la victoire, notamment au moment de Verdun.

Même certains francs-maçons le critiquent : Par exemple, Yves Marsaudon :
«  ... Aristide Briand... s’efforça de concert avec son partenaire Stresemann d'endormir le monde... il m’apparaît comme le plus grand malfaiteur de l’entre-deux guerres. La politique de la tête sous l’aile  trouva en lui le plus aveugle et le plus inconditionnel soutien.»

En 1932, Aristide  Briand échoue dans sa candidature à la présidence de la République. On lui préfèrera un franc-maçon bien connu : le frère Paul Doumer. Mais, pour l’Histoire, le prix Nobel décerné en 1926 ne l’avait-il pas déjà consacré mondialement comme « l’apôtre de la paix » ?

Précurseur de l’Union Européenne, militant de la sécurité collective et du désarmement général, Aristide Briand reste une grande figure de notre siècle, tant son action demeure d’actualité. Au-delà des désillusions et des démentis momentanés qu’amènera la seconde guerre mondiale.

L’influence de Stresemann

La profondeur de pensée et la force des convictions humanistes du franc-maçon Gustav Strese¬mann influèrent profondément sur la démarche intellectuelle d’Aristide Briand. Contribuant ainsi à l’orientation de son action politique ; en tout cas dans le domaine internatio¬nal.

Cela dit, favorable à l’Anschluss, niant toutes responsabilités de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre 14-18, contre le corridor de Dantzig  et les nouvelles frontières à l’est, c’est un pangermaniste pur et dur… qui, de plus, revendique un droit spécifique de l’Allemagne à s’occuper des minorités germaniques des pays par ailleurs souverains (ainsi.. les sudètes…)

Mais, lors de la tentative de coup d’Etat d’Hitler en 1923, il décréta l’état d’urgence.  Hitler emprisonné, en profita pour écrire son Mein Kampf. Pour en arriver à ses fins, il revendique d’utiliser (lettre au Kronprinz) la méthode de Bismarck : finasser !

Né en 1878, initié en 1923, membre de la loge « Friedrich der Grosse » (Frédéric le Grand) à Berlin, il fut nommé membre d’honneur de la Grande Loge « Drei Weltkugeln » (Aux Trois Globes).

Son admiration pour Goethe et sa conviction de la nécessité pour l’homme de forger sa personnalité initièrent sa profonde adhésion spirituelle aux idéaux maçonniques.

Nostalgie bienheureuse
Et tant que tu ne comprendras rien
Au sens des mots : Meurs et Deviens
Tu seras un obscur passager
Sur cette terre enténébrée

 

 

Il fit aussi sienne, la philosophie de Kant d’éthique du devoir :

« Un acte n’a de valeur morale que s’il est fait « par devoir » ; le devoir s’adresse à la raison, en chaque homme, au-dessus de tout intérêt et de toute passion ».

 

Emmanuel Kant (1724-1804)
Fondateur de la philosophie critique et de l’idéalisme transcendantal

Vingt ans avant son entrée en loge, Stresemann écrivit, dans un article intitulé : « La Franc-maçonnerie et le Temple de l’Humanisme» :


«  Il faut que la pensée et l’action de l’homme soient toujours fondées sur la conviction que celui-ci doit accomplir une mission sur la Terre et que la force lui est donnée pour apporter sa contribution à la construction de l’Humanisme... »

 

Le 10 septembre 1926, lors de l’entrée de l’Allemagne dans la SDN, il fait sensation en utilisant des expressions maçonniques dans son allocution:

 

« … Le Grand Architecte de l’Univers n’a pas créé l’Humanité dans une totale égalité. Il a donné aux peuples des liens de sang différents ; il leur a donné aussi une langue maternelle comme une âme sacrée ; il leur a enfin donné comme patries des territoires de natures différentes.

 

Mais il n’a pas voulu ordonnancer un monde dans lequel les peuples pourraient développer une plus grande puissance des uns contre les autres et réprimer chaque fois le développement culturel de l’Humanité par un tel comportement.

 

Sera un grand serviteur de la société humaine celui qui développera avec force ses capacités personnelles, tant spirituelles que psychiques grâce auxquelles il pourra agir de façon bénéfique pour l’Humanité tout entière, ce qui veut dire aussi au-delà des frontières de sa patrie, comme l’ont fait tous les grands hommes de toutes les Nations. Leurs noms sont gravés dans l’histoire de l’humanité.

 

Les Nations peuvent aussi s’unir dans les comportements politiques, s’il existe une volonté de l’individu pour être au service du progrès de tous.

 

C’est seulement par son caractère d’universalité que la Société des Nations sera préservée du grand danger de mettre sa force politique au service d’autre chose que la pure idée de paix.

 

Il n’y aura d’entraide et de justice entre les hommes que si les  nations constituent une grande communauté dont tous feront partie, sans différence, et avec des droits égaux.

 

 

Sur cette base seule se développera aussi la liberté à laquelle aspire chaque peuple, comme chaque individu. Telles sont les idées généreuses dont l’Allemagne est résolue à s’inspirer.

 

A toutes les nations ici réunies s’applique le mot d’un grand penseur : notre destinée, à nous autres hommes, est de faire l’effort des ténèbres vers la lumière.

 

Puisse la Société des Nations ne connaître que la devise : Liberté, paix, union ! Alors  nous approcherons peu à peu du but vers lequel nous tendons tous.

 

Collaborer joyeusement à cette tâche, telle est la ferme volonté de l’Allemagne. »